2 mai 1845

2 mai [1845], vendredi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour, mon Victor adoré, je suis enfin au lendemain de cette stupide fête. Pour moi, les fêtes sont d’amères dérisions, car je te vois encore moins que les jours ordinaires. Aussi je les vois arriver avec un redoublement d’impatience et d’ennui. Il paraît que ton dîner s’est prolongé fort avant dans la nuit puisque tu n’es pas venu du tout ? Te verrai-je aujourd’hui ? Je n’ose pas l’espérer, dans la crainte de voir mon espérance encore trompée. Je te désire, je t’attends et je t’aime, mon Victor bien-aimé.
La mauvaise chance me suit dans les petites choses comme dans les grandes ainsi que tu pourras en juger par ce seul fait : depuis deux jours, les maçons et les couvreurs travaillent sur les toits, et mon pauvre jardin et toute cette jeune plantation sont perdus par les tuiles et les plâtras qui tombent dessus et qui brisent, coupent et écrasent tout. Sans parler de l’horrible poussière qui entre partout malgré les fenêtres fermées et ma pauvre tête qui ne sait que devenir avec le manque d’air. Vraiment je ne suis pas chanceuse. Je vais relire ma petite lettre [1] tout à l’heure pour y puiser du courage, de la patience et de la résignation dont j’ai plus besoin que jamais.
Tu vois que je me plains toujours, mon Toto, mais si tu considères ma vie, tu dois remarquer de combien d’ennui elle se compose pour très peu de bonheur. Je suis sûre qu’en un an je ne t’ai pas vu huit jours pleins. C’est bien triste, mon Toto, et il faut bien de la force de volonté et d’amour pour résister à ce régime abrutissant. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 123-124
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette