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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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28 janvier [1849], dimanche matin, 9 h.

Bonjour, mon adoré petit homme, bonjour mon doux lion, bonjour mon sublime bien-aimé. Comment vas-tu aujourd’hui ? Moi je ne vais pas. Ce temps-là me donne mal à la tête à me rendre folle ; dans ce moment surtout il semble que je sois enragée. Je ne conseille pas aux républicains, de quelque couleur qu’ils soient, de venir frotter leurs hideux museaux auprès de moi. Je sens que je les grifferais avec une certaine volupté féroce. C’est aujourd’hui que vous dévouez votre estomac au service de la patrie. Pauvre Toto. Cela doit bien vous coûter, mais à tous les cœurs bien nés, la pâtée est chaire [1], comme vous savez, aussi je vous regarde et je vous admire du haut de ces quarante mille goinfreries politiques et légèrement saucialesa [2]. Tâchez de ne pas mourir d’indigestion quoique ce soit le sort le plus doux, le plus digne d’[illis.]. J’espère que vous penserez à me rabibocher dans la journée de votre soirée gastronomique et patriotique ? J’y compte et je me dépêche de tout mettre en ordre chez moi pour n’avoir plus qu’à rester auprès de vous sans en perdre une seconde. Et puis je vous adore.

Juliette

BC MS 19c Drouet/1849/33
Transcription de Véronique Heute assistée de Florence Naugrette

a) « sauciale ».


28 janvier [1849], dimanche après-midi, 3 h.

Je vous attends, mon petit homme, c’est pour cela sans doute que vous ne venez pas. Cette attention délicate me touche et me pénètre d’une sainte indignation qui aimerait à se répandre en gifles abondantes sur votre carcasse de représentant [3]. Mais ne le pouvant pas je tourne ma fureur contre moi et je me fais tout le mal possible. Il faut bien que je me venge sur quelqu’un du mal que vous me faites et comme je suis sous ma main je ne m’en prive pas, je vous assure. Déjà hier je ne m’en étais pas privée avec les rassemblements et les émeutes d’étudiants [4]. J’en ai encore les yeux tout rouges. Maintenant c’est avec vous tout seul que je me rends la plus malheureuse des femmes. Mais aussi pourquoi ne venez-vous pas ? Qu’est-ce que vous faites ? À quelle NATHALIE [5] donnez-vous audience ? Quelle affaire Chaumontel avez-vous en train ? À quel carabinier… de Charles faites-vous faire la CHARGE en douze temps ? Peut-être que si je le savais, cela m’amuserait beaucoup et me ferait prendre patience, mais dans le doute je suis très grognon, très maussade, très triste et très malheureuse. Baisez-moi si vous pouvez et aimez-moi si vous l’osez. Moi je suis prête à tout et à bien autre chose. Juliette

Leeds, BC MS 19c Drouet/1849/34
Transcription de Véronique Heute assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Jeu de mots entre les dîners politiques auxquels Victor Hugo assiste et la tribune d’où il effectue ses discours à l’Assemblée.

[2Jeu de mots entre « sociales » et la « sauce » des plats servis dans les dîners politiques auxquels assiste Victor Hugo.

[3Le 4 juin 1848, Victor Hugo a été élu au scrutin complémentaire à l’Assemblée constituante. Il est député de Paris.

[4Le 27 janvier 1849, Victor Hugo « écrit à son oncle Louis : “Nous ne respirons pas, nous ne vivons pas, nous sommes dans le tourbillon… Le ciel politique est redevenu assez noir depuis quelques jours.” Il fait allusion aux bruits de coup d’Etat qui de nouveau se multiplient. » (Tableau synchronique ; CFL, t. VII, p. 1347).

[5Juliette Drouet fait-elle allusion ici à Nathalie Martel, dite Nathalie ?

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