Guernesey, 27 avril 1860, vendredi matin, 8 h.
Bonjour, mon tout bien aimé, bonjour, mon âme te salue en Dieu et en notre amour. As-tu bien dormi, mon cher petit homme ? Ta petite Cosette n’a pas fait trop de bruit dans ton cerveau cette nuit ? Quant à moi je n’en ai pas rêvé mais j’y pense toujours avec des tressaillements de tendresse et de joie comme dans l’attente d’une petite fille réelle dont nous aurions été séparés malgré nous depuis douze ans [1]. J’ai hâte de revoir cette pauvre petite fille et de connaître le sort de sa BELLE POUPÉE. Je suis impatiente de savoir si ce monstre de JAVERT a perdu la trace de ce pauvre sublime scélérat Monsieur le Maire [2] et de savoir si le pauvre logis du boulevard Montparnasse s’est éclairé d’un rayon de bien-être et de bonheur depuis que je l’ai quitté. Enfin, mon pauvre adoré, le cœur me brûle de refaire connaissance avec tout ce monde de ton génie dont les tristesses me font souffrir et pleurer plus que sur les miennes propres et dont les joies sont mes fêtes et mes rayons. Je vais faire toutes mes affaires à la hâte pour laisser la chambre libre. En attendant je t’envoie une tonne de baisers et de tendresses franche de port et à domicile et puis je t’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16381, f. 95
Transcription de Claire Villanueva
[Souchon, Blewer]