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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 avril [1845], dimanche matin, 8 h. ½

Bonjour, mon Toto bien aimé, bonjour, mon cher petit invisible, bonjour, le plus couru et le plus courant des hommes, bonjour. J’AI pas contente. Je ne vous verrai pas encore de la journée probablement, car j’ai vu une lettre de M. Asseline qui vous fait dire d’être chez la duchesse [1] à trois heures. Je vois que dans tout cela, mon tour n’arrive jamais. Ça n’est pas nouveau, mais c’est parfaitement ennuyeux. Je ne veux pas vous grogner, ce n’est pas manque d’envie et de besoin, mais je sens que d’un autre côté, vous êtes accablé et surchargé de besogne et d’affaires. Mon Victor adoré, je te souris, au contraire, je t’aime, je t’attends avec impatience, mais sans humeur et avec amour. Je sais que tu es heureux et cela me donne le courage d’attendre. Quand tu viendras, je serai à mon tour bien heureuse et bien joyeuse et la plus grande pairesse de France et de Navarre et de tout l’univers.
Il fait un temps ravissant depuis que votre nom a paru au Moniteur [2]. Le soleil attendait l’apparition de son astre jumeau pour rayonner sur la caboche des Parisiensa. C’est bête comme tout ce que je vous dis là [3] et cependant c’est la vérité : baisez-moi, cher petit homme et aimez-moi si vous tenez à conserver longtemps le privilège inappréciableb de faire des pieds de nez au sergent de ville et aux patrouilles plus ou moins grises. Baisez-moi, mon adoré, et dites-vous que votre pauvre Juju attendc que vous lui apportiez un petit moment de bonheur et de joie dans son petit coin.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 77-78
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « des parisien ».
b) « inapréciable ».
c) « attends ».


20 avril [1845], dimanche après-midi, 2 h. ¾

Cher adoré bien-aimé, je te suis de la pensée et de l’âme, je te vois entrer chez la duchesse d’Orléans et je la trouve bien heureuse et je donnerais une année de ma vie pour être à sa place seulement le temps que tu vas passer avec elle. Cher adoré bien-aimé, est-ce qu’en voyant cette femme si heureuse de te voir et de te faire son compliment, tu ne penseras pas un peu à ta pauvre Juju si seule et si négligée depuis quelque temps ? Est-ce que tu ne lui donnerais pas un regret et une pensée d’amour à cette pauvre femme sur qui pèsenta tous les sacrifices depuis un bout de l’année jusqu’à l’autre ? C’est elle qui fait tous les frais de vos succès, depuis l’Académie jusqu’à la Pairie, c’est toujours la pauvre Juju qui a donné son temps, sa vie et son amour sans rien recevoir en échange. Il est bientôt temps que cela finisse, car elle sent qu’elle ne pourrait pas aller toujours comme cela. Il vient un moment où le cœur a besoin de se retremper dans un peu de bonheur. En attendant, je pense sans cesse à toi pour tâcher de trouver le temps moins long. Jusqu’à présent, cela ne m’a servi qu’à me le faire trouver plus long et plus insupportable. Mais, c’est égal, je persiste dans ma manière pour une bonne raison, c’est que je ne peux pas faire autrement. Tiens, te voilà, cela m’a porté bonheur de t’écrire.
Je finis ma lettre en te suppliantb de revenir bien vite.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 79-80
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « pèse ».
b) « en te supliant ».

Notes

[1Il s’agit de la duchesse d’Orléans que Victor Hugo fréquente régulièrement. La lettre suivante, du 20 avril après-midi, confirme cela, Juliette Drouet écrivant : « je te vois entrer chez la duchesse d’Orléans ».

[2L’annonce de la nomination de Victor Hugo en tant que pair de France est publiée dans Le Moniteur Universel du jeudi 17 avril 1845.

[3Réplique de don César à un laquais, acte IV, scène 3 : « C’est bête comme tout ce que je te dis là », extraite de Ruy Blas (1838).

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