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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 avril [1845], samedi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon petit Toto bien aimé, bonjour, mon grand Toto, bonjour, le bien-aimé de mon âme, bonjour.
Je me suis levée de très bonne heure aujourd’hui et une partie de mes affaires est déjà faite. Je veux éblouir ma vieille propriétaire par la propreté de mon logis et le luxe de ma toilette. Avec ça, c’est aujourd’hui mon peignage à fond. Non, mais sérieusement, je me dépêche de faire mon ménage pour recevoir cette vieille bonne femme.
Comment va ta gorge, mon Toto ? Te fait-elle moins souffrir qu’hier ? Je vais te faire tout de suite ton eau de miel et celle pour tes yeux. Je n’ai pas beaucoup profité cette nuit de ton retour. Tu es resté si peu et tu n’as pas voulu que je me réveillasse tout à fait. Il faudra que je trouve moyen de t’attendre en veillant. Pour cela, il n’y a rien de mieux qu’une tapisserie et puisqu’il en faut une pour mon fauteuil, cela se trouvera très bien, non seulement pour le fauteuil, mais aussi pour la chaise qui s’use aussi vite et qui est en aussi mauvais état que le fauteuil. De cette façon, je pourrai t’attendre sans dormir comme une souche. Aujourd’hui tu pourras emporter ta tapisserie, la guipure [1] et le petit tapis de cachemire. Ce sera fait et parfait, je l’espère. D’ici là, je te baise de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 73-74
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette


19 avril [1845], samedi soir, 6 h. ½

Je serais assez disposée à grogner, mon amour, si je ne pensais pas à tout ce que tu as à faire et si je ne savais pas combien tu es occupé et tiraillé par toutes sortes de choses et de gens. Aussi, mon Victor adoré, je me contiens et je ne trouve que des paroles de tendresse et d’amour à te dire.
J’ai eu la visite de la propriétaire. Cela s’est réduit à une simple visite de politesse de part et d’autre. Elle doit m’envoyer son état de lieu. Je verrai sur quoi je ferai porter mes observations s’il y en a à faire. Du reste, elle m’a gracieusement accordé ce que je lui ai demandé pour les lieux d’aisance, une cuvette demi-anglaise. Ce sera plus propre que l’espèce de lunette hideuse qui existe maintenant. aJ’ai vu Duval qui a apporté quatre petits rosiers Bengale pourpre. Jusqu’à présent, il m’a l’air d’un honnête homme. Nous verrons s’il confirmera à la longue cette bonne opinion. J’ai profité de sa présence pour écrire à Claire au sujet de son père [2]. Je verrais avec mécontentement qu’elle se fît prendre en grippe par son père à cause de son mauvais caractère et de son amour-propre féroce. Je lui écrisb à ce sujet très sérieusement et très tendrement [3]. Nous verrons ce que cela fera. En attendant, la grande péronnelle me fait assez endiablerc. Cette dernière chose surtout m’a fait du chagrin. Il serait triste d’avoir tant fait pour lui conserver l’affection de son père et qu’elle la détruisît en un instant par orgueil malade et vanité blessée. Enfin il faut espérer que cela ne sera pas. Je la raisonnerai le mieux que je pourraid. Je t’aime, mon Victor, tu es beau, noble, bon, charmant et sublime. Tu es tout et tu as tout, toi. Je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 75-76
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
[Siler]

a) Douglas Siler commence ici la transcription.
b) « je lui écrit ».
c) « endiablée ».
d) Douglas Siler arrête ici la transcription.

Notes

[1Guipure : dentelle de fil ou de soie, à larges mailles.

[3« Chère enfant, sois tendre et très expansive avec ton père. Montre-lui un visage doux et heureux. Qu’il sente que tu as du bonheur à le voir. / Si l’occasion amenait, en parlant, le sujet de ma visite à la pension sans avoir vu Charlotte, tu dirais que j’ai craint d’être indiscrète en demandant à la voir, malgré le plaisir que j’aurais eu d’embrasser cette chère enfant. » (B.P.U., Ms. fr. 1312, fragment non daté). Juliette s’était rendue à la pension le 15 avril pour annoncer à Claire la nomination de Victor Hugo à la pairie (Siler, t. III, p. 180).

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