Guernesey, 2 février 1860, jeudi matin, 8 h.
Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour dans toute l’effusion de mon cœur et de mon âme.
Comment vas-tu ce matin, mon cher petit homme ? Ta nuit a-t-elle été bonne ? Ton mal de tête est-il complètement dissipé ? Voilà un temps qui te permettra de marcher autant que tu voudras. Hélas ! Je n’en peux pas en dire autant car je n’ose pas me risquer par cet air vif et pénétrant. Ma maladie depuis deux mois a fait tant de fausses sorties et de si triomphantes rentrées que je suis devenue couarde et lâche comme un vieux chien. Je n’ai de cœur qu’à t’aimer et de courage qu’à te le témoigner par tous les moyens possibles, même aux dépensa de mon bonheur personnel. C’est pourquoi je t’offre de nouveau le sacrifice de tous mes pauvres mercredis tout le temps que durera l’absence de ta femme [1]. Ce sacrifice est d’autant plus grand que voilà bien longtemps que je suis privée de cette joie si douce de dîner avec toi. Mais c’est bien le moins que je puisse faire pour te prouver ma reconnaissance pour tous les soins si tendres, si dévoués et si doux que tu m’as prodigués pendant cette interminable et maussade indisposition. Cher adoré je ferai et je te laisserai faire tout ce que tu voudras dans l’intérêt du bonheur de ta famille et du tien.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16381, f. 7
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette
a) « au dépend ».