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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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26 juillet [1844], vendredi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon Toto bien aimé, bonjour, mon cher petit homme adoré, bonjour, je t’aime. Je ne te demande pas comment tu vas parce que je sais que cette chaleur tropicale te va, mais pour moi, c’est différent, je ne sais que devenir. J’ai un mal de tête fou et un rhume de cerveau hideux. Je m’en veux de ne pouvoir pas résister à ce sommeil de plomb qui s’empare de moi le soir quand je suis seule, mais je ne le peux vraiment pas. J’en suis trop punie puisque je ne te vois pas ; c’est te prouver assez combien ce sommeil est irrésistible. J’attends avec impatience les temps frais pour ne plus être EN PROIE à cette affreuse infirmité. En attendant, je suis privée de te voir, mon cher adoré, ce qui est un supplicea pour moi. Je ne sais pas comment faire car, levée ou couchée, c’est toujours la même chose. Tu ne veux pas que j’essaie de café, peut-être cela m’aurait-il réussi. Enfin, je suis très malheureuse, voilà ce qui est trop sûr. Les ouvriers continuent leur tapage de plus belle : maçonsb, menuisiersc, serruriersd, tous crient, tous tapent, tous cognent à qui mieux mieux. J’en ai la tête fendue ; je donnerais le propriétaire et ses boutiques au diable [1]. Voilà huit jours que cela dure et cela ne paraît pas près d’être fini. Après eux, nous aurons les peintres. Je ne sais vraiment pas ce que je deviendrai avec la tête que j’ai. Je me sauverai chez toi et une fois là, il faudra une fameuse force armée pour m’en déloger. Je t’aime, mon Victor adoré.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 299-300
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette

a) « suplice ».
b) « maçon ».
c) « menuisier ».
d) « serrurier ».


26 juillet [1844], vendredi soir, 4 h. ½

Mon cher bien-aimé, je ne veux pas te tourmenter, je ne le veux pas, je ne le veux pas, je ne le veux pas. J’accepte aveuglément toutes les raisons que tu me donnes plutôt que de te tourmenter injustement. Ainsi, mon adoré, ne te préoccupea pas de ces lettres, n’ajoute pas cette fatigue inutile à tes autres fatigues. Je t’ai déjà dit que je n’avais pas de curiosité, ainsi, puisque tu m’aimes, tout est dit. Sois béni, mon adoré, autant que tu es aimé.
J’ai suivi ton conseil, j’ai ouvert mes fenêtres au risque d’être étouffée par la poussière. Je crois que j’ai un peu moins mal à la tête que ce matin. J’espère pouvoir t’attendre ce soir sans somnambulisme ; ce ne sera pas de ma faute si je n’y parviens pas. D’ici là, je voudrais bien te voir une petite goutte. Je suis sûre que cela me tiendrait éveillée mieux qu’une tasse de café à l’eau. J’ai bien peur que le travail ne te fasse oublier le chemin de la maison. Où es-tu à présent ? Dans quel lieu erres-tu pour que j’aille t’embrasser ? Est-ce ce soir la pelouse de la barrière du Trône ou sur autre chose de la barrière de l’Étoile que tu promènes ton cher petit corps distrait ? Je voudrais bien le savoir et pouvoir aller te retrouver, tu verrais comme j’y serais bien vite. Baise-moi, mon amour, tu es mon Victor adoré.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 301-302
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette

a) « préocupe ».

Notes

[1Le propriétaire a vendu le rez-de-chaussée à un boutiquier. D’où des travaux bruyants et qui dégagent du plâtre et de la poussière.

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