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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 juin 1844

23 juin [1844], dimanche matin, 9 h. ¼

Bonjour mon petit Toto bien aimé. Bonjour cher petit homme adoré. J’espère que tu n’es pas aussi éclopéa que moi, et même que tu ne l’es pas du tout. Quant à moi, je suis dans le même état à peu près qu’hier. Ma douleur de cou est aussi forte et je me suis relevée trois fois dans la nuit. Cela ne m’empêche pas de croire que ce ne sera rien du tout. Seulement, cela se trouve mal pour cette pauvre Clairette. Cette pauvre enfant n’a pas de chance ; je ne sais pas quand elle lui viendra mais jusqu’à présent elle peut porter le nom de Mlle Guignolet [1].
À propos, le fameux portrait de son père est arrivé. Sans flatterie, il est hideux ; Claire le trouve ressemblant, cela ne m’étonne pas. Du reste, c’est un petit dessin aux trois crayons dans un passe-partout en bois. Si on ne lui permet pas de l’accrocher à la tête de son lit, je le mettrai dans une armoire dans la chambre de Suzanne jusqu’à ce qu’elle ait la permission de l’avoir à sa pension, à moins que tu ne veuillesa pas.
Voilà un bien fameux temps pour la réclusionnaire à perpétuité. Voime, voime, je sais bien qu’est ce qui aura pris une pincée de poudre d’escampette aujourd’hui, sans compter qu’on aura très bien fait et que vous en serez pour votre RETENUE de carton. Il n’y a de retenue que pour moi mais celle-là dure depuis le 1er janvier jusqu’au 31 décembre.
Baisez-moi, cher monstre, et aimez-moi ou je vous tue.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 183-184
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette

a) « éclopé ».
b) « veuille ».


23 juin [1844], dimanche soir, 9 h. ½

Je vais me déshabiller dès que je t’aurai dit tout mon cœur, tout mon amour, tous mes désirs et tous mes regrets : – je t’aime, mon Toto, je t’adore, mon Victor ravissant, je te désire, mon beau bien-aimé, je regrette tous les instants de ma vie que je ne passe pas avec toi. Voilà bien des fois, depuis quelque temps, que les obstacles viennent de moi, c’est-à-dire de ma santé et de celle de ma servante [2]. J’espère que cette ridicule et absurde malingrerie va finir et que je pourrai profiter au moins des rares instants que tu peux me donner. Ce soir, mon cou va mieux, quoiqu’il soit encore très douloureux et très raide. Demain, je l’espère, il n’y paraîtra plus du tout. Ma pauvre Clairette aura eu peu d’agrément, en somme, car je ne peux pas compter pour un plaisir bien vif de dîner avec Joséphine. Enfin, la pauvre enfant, je lui donne tout ce que je peux lui donner : – RIEN. De cette façon, elle ne se blasera pas et le mari qui l’aura n’aura pas grand-chose à faire pour lui paraître amusant.
Jour Toto, jour mon cher petit o. Soir papa, soir man. Bonsoir père féroce, c’est de ma faute, n’est-ce pas, si vous ne venez pas ? Que je te voie dire ça, et tu auras affaire à moi. Je vous dis que vous êtes une bête et voilà tout ce que vous êtes. Baisez-moi et ne faîtes pas le joli cœur avec Mme Paillard de Villeneuve si vous tenez à votre vie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 185-186
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Avoir du guignon : être malchanceux.

[2La domestique Suzanne a été fort malade.

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