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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 mars 1844

16 mars [1844], samedi matin, 9 h. ¼

Bonjour, mon Toto bien aimé, bonjour mon cher amour. Je ne sais à quoi attribuer le sommeil lourd et douloureux auquel je suis en proie depuis deux jours et particulièrement cette nuit. Il m’a été impossible d’en sortir pour te parler quoique j’eusse le plus grand besoin de te dire que je t’aimais et que tu étais mon Toto bien aimé et bien adoré. Ce matin je suis encore sous l’impression de ce sommeil de plomb.
J’ai la tête pesante et les mains brûlantes. Il me faudrait beaucoup d’exercice et c’est précisément de cela dont je manque. Je viens de faire un rêve affreux sur toi, c’est-à-dire sur moi puisque dans mon rêve tu ne m’aimais plus. Il n’y a presque pas de nuit que je ne fasse de ces affreux rêves. Je ne sais pas à quoi cela tient ? À moins que ce ne soit un sommeil magnétique et que mes cauchemars ne soient des visions ? Toi seul le saisa.
J’ai bien pensé à cette pauvre Mme Pierceau. J’ai prié le bon Dieu de lui épargner les souffrances puisqu’il ne voulait pas la guérir. Pauvre femme, ce sera une bien bonne amie que je perdrai le jour où elle mourra [1]. Voilà deux années bien lugubres pour nous, mon cher adoré. Mais je ne devrais pas te parler de cela, je suis folle, pardonne-moi.
Je t’aime, mon Victor, j’ai besoin de te le dire à toi-même, est-ce que tu ne vas pas bientôt venir ? Je t’attends et je te désire.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 295-296
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « sait ».


16 mars [1844], samedi soir, 6 h. ¼

Voilà une bien longue, quoique bien belle, journée, passée à t’attendre et à te désirer, mon amour. Il est vrai que tu m’avais presque dit hier que tu ne viendrais pas aujourd’hui en me faisant sortir. Je trouve le temps bien long, mon adoré. Pense que depuis vingt-quatre heures je ne t’ai pas vu ; car je n’appelle pas t’avoir vu l’apparition que tu as faite à deux heures du matin dans mon premier sommeil. Je suis triste, mon adoré, mais te voilà. Merci mon Dieu, merci.

7 h. ¼

Tu as mille fois raison, mon amour, de m’empêcher de t’écrire des choses méchantes et amères. Tu as raison de m’empêcher de m’être odieuse à moi-même. Quand je pense à tout ce que tu fais pour moi et à tout ce que tu fais pour tout le monde, je suis honteuse de mon injustice et je voudrais baiser tes chers petits pieds à genoux. Pauvre ange adoré, je t’aime trop, c’est ce qui me rend si avide de toi et par conséquent si jalouse et si méchante. Mais tu ne peux pas vouloir que je t’aime moins et d’ailleurs je ne le pourrais pas, s’agirait-il de ma vie. Aussi, mon cher adoré, il faut me continuer ta bonne et douce indulgence et ne pas t’attrister de mes folles divagations. Il faut m’aimer et me donner le plus de temps que tu pourras, c’est-à-dire le plus de bonheur possible. De mon côté je tâcherai d’être raisonnable, je te le promets.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 297-298
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

Notes

[1Mme Pierceau décède le 20 avril 1844 après plusieurs mois d’agonie.

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