13 mars [1844], mercredi matin, 10 h.
Bonjour, mon Toto bien aimé, bonjour mon adoré petit homme, bonjour tu seras sans doute encore assailli et poursuivi par les candidats [1] aujourd’hui. Il fait pourtant un temps charmant et j’aurais été bien heureuse d’en profiter avec toi. Mais enfin, puisque cela ne se peut pas, n’en parlons plus. Je viens de séparer Cocotte et Jacquot lesquels, après s’être fait force mamoursa, se pignochaient à qui mieux mieux, c’est-à-dire que ce gros brutal de Jacquot l’aurait égorgée si je ne m’étais pas trouvée là. Maintenant ils sont occupés tous les deux à remettre leurs plumes en place, lesquelles se sont trouvées légèrement ébouriffées après la bataille.
Mais je ne les remettrai plus sous le même toit parce que la pauvre Cocotte courrait le risque d’être chourinée par ce hideux et féroce Coco. Tout mon lit est couvert d’encre et de poudre. Dieu que c’est amusant d’avoir une petite ménagerie à domicile ! Je commence à en avoir mille fois assez pour ma part. Je trouve que c’est déjà trop d’avoir un OURS sans y joindre d’autres monstres féroces. Voilà mon opinion. Il est probable que je ne vous verrai que ce soir, si je vous vois. Je vais donc penser à vous et tâcher de n’être pas trop impatiente. C’est bien facile à dire mais cela l’est très peu à faire. Je vous aime trop.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16354, f. 285-286
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette
a) « mamour ».
13 mars [1844], mercredi soir, 6 h. ¼
Encore une journée triste, mon bien-aimé, celle de demain ne sera pas meilleure, ce n’est pas ce qui me console. Je fais tout mon possible pour prendre mon mal en patience mais je n’y réussis pas. Tu auras eu encore des candidats aujourd’hui [2]. Je leur souhaite la peste et le choléra-morbus [3]. Je souhaite aux Immortels de vivre comme Mathusalem et plus encore si cela leur fait plaisir, pour ne plus entendre parler de ces hideux candidats et de leur auguste famille.
En attendant, j’ai un mal de tête qui ne me quitte pas depuis plusieurs jours, c’est toujours autant. Est-ce que je ne te verrai pas même une seconde avant ton dîner ? Dieu merci, ce sera gentil et cela égaiera bien la longue soirée que j’ai à passer seule. Vraiment, mon Toto, tu n’es pas gentil, car enfin qui veut la fin veut les moyens. Si tu veux que j’aie du courage et de la patience, il faut au moins en renouvelera la provision de temps en temps en venant me voir.
Je souffre beaucoup ce soir, mon Victor. J’aurais dû ne pas même t’écrire ce gribouillis qui ne sert à rien qu’à te dire des choses que tu sauras toujours assez : que je souffre, que je suis triste, que je suis maussade et découragée mais que je t’aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16354, f. 287-288
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette
a) « renouveller ».