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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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22 décembre [1843], vendredi matin, 10 h. ½

Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour mon adoré, bonjour mon cher petit homme. Je compte sur ta promesse et je vais me dépêcher de m’habiller pour ne pas perdre une goutte du temps que tu auras à me donner.
À peine as-tu été parti hier qu’il m’est arrivé les trente-six infortunes de Jocrisse [1]. J’ai culbuté par derrière moi le pot de Suzanne dans lequel était le bouquet de ma fille et de l’eau. Je me suis mouillée jusqu’aux os. Il m’a fallu ranger tout de suite et nettoyer la table dont la dorure ne s’est pas trouvéea très bien. Pendant que je faisais mon opération j’avais posé ma lampe à terre et elle s’est mise à brûler tout doucement le bord de ma table de chêne. Heureusement que je m’en suis aperçue avant que le dégât ne fût trop grand. Mais le plus beau de l’affaire, c’est que je me suis couchée avec mes deux chemises mouillées pour ne pas effractionner votre verrou. Je ne me suis rendue compte qu’après être couchée que je pouvais changer de chemise sans sortir de chez moi.
De tout cela, tant de tuer que de blesser, il n’y a personne de morte. Mais je n’ai presque pas dormi. J’espère qu’il ne te sera rien arrivé d’analogue à mes infortunes, mon cher petit, et que tu auras pris quelque repos dont tu avais grand besoin. Dans cet espoir, et comptant sur la bonne promesse que tu m’as faite, je vais me dépêcher de m’apprêter tout de suite. Je t’aime mon Toto, je t’adore mon Toto.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 195-196
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « trouvée ».


22 décembre [1843], vendredi après-midi, 2 h. ½

Hélas ! mon pauvre petit homme, à quoi me sert d’être prête depuis une heure si ce n’est à attendre avec encore plus d’impatience que les autres jours en bonheur que tu m’as fait espérer et qui n’en vient pas plus vite. Je sais bien que tu es occupé, je n’en doute pas, mais est-ce que tu ne peux jamais te dégager d’aucun devoir envers les autres pour en remplir un de temps en temps envers moi ? Je suis triste, mon Toto, je finis par ne plus croire à rien et par douter de ton amour.
Sans doute si ce retard était le premier, ou n’arrivait que rarement, je serais une méchante et une insensée de me plaindre et de t’accuser. Mais c’est ma vie depuis un bout de l’année jusqu’à l’autre et, ce qui ne serait qu’une contrariété à peine perceptible pour tout autre, devient un mal très cuisant et très douloureux pour moi. Cependant, mon pauvre ange, je te sais gré au fond de la bonne intention que tu as euea en me faisant cette promesse hier. Je sens qu’il faut que tu sois bien empêché pour me manquer de parole encore cette fois. Aussi je me plains du sort mais pas de toi. Je t’aime trop pour t’en vouloir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 197-198
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « eu ».

Notes

[1Allusion aux Vingt-six infortunes de Jocrisse, ensemble de pièces de théâtre écrites par Beaunoir en 1814.

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