26 décembre [1837], mardi, midi ¾
Bonjour mon petit bien-aimé. Comment vas-tu ? Moi je ne vais pas et si je ne t’aimais pas de toute mon âme je ne sais pas si je me sentirais vivre tant je suis indifférente à tout ce qui m’entoure. Heureusement que mon amour est là pour me tenir en haleine. J’ai cru que je ne m’endormirais pas cette nuit. J’ai eu de la fièvre, j’ai bu quatre fois et ce matin, avant de t’écrire, j’ai avalé un grand verre d’eau rougie [1]. Il est vrai que ce soir je serai beaucoup plus tranquille, la certitude que tu seras à Caligula [2] ne me laissera rien à désirer, non ! Je suis bien heureuse. Parlons d’autre chose. Je ne vois pas Mme Lanvin. J’aurais besoin de voir Claire et sa maîtresse [3]. Voilà quatre mois que je n’y suis pas allée. Je t’en prie mon enfant, sacrifie-moi une heure pour ce devoir. Je t’en aurai la plus vive reconnaissance.
Je suis aussi maussade en écriture qu’en personne. Pour que tu ne t’en aperçoivesa pas, il faudrait que je ne t’écrive jamais et que je n’ouvre pas la bouche, chose plus difficile que tu ne crois car je t’aime et mes plaintes en sont la preuve la plus évidenteb. Je t’aime mon Victor. Je t’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16332, f. 212-213
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « apperçoives ».
b) « évidentes ».
26 décembre [1837], mardi soir, 9 h. ½
Vous êtes à Caligula [4], mon cher petit homme, et moi je vous aime. Je sais que vous avez eu un très bon mouvement en venant me chercher tantôt, malheureusement je n’étais pas en mesure pour en profiter. C’est un regret de plus à ajouter à tous les désappointements que j’accaparea depuis trois mois. Je te remercie pourtant du fond du cœur de la bonne intention que tu as eueb mon Toto. Je suis seule maintenant et je me rends bien compte de ce qu’il y a eu de bonne affection dans cette démarche. Merci donc, mon adoré, merci. J’étais hors d’état de pouvoir en profiter mais non pas de l’apprécier. La jalousie me fait bien du mal mais ne me rend ni injuste, ni aveugle.
Mme Lanvin est partie. Elle ne reviendra que lundi. D’ici là peut-être aura-t-elle quelque chose de plus positif de M. P. [5] car jusqu’à présent je ne vois que des promesses vagues.
J’espère que l’année 1838 sera pour nous moins guignonantec [6] que l’année 1837. Ce n’est pas le tout que de s’aimer de toute son âme chacun de son côté. Pour le bonheur il faut pouvoir se le dire souvent et longtemps. Je t’aime, mon adoré. Je t’attends avec toute la patience dont je peux disposer.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16332, f. 214-215
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « j’acapare ».
b) « eu ».
c) « guignonnante ».