Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1842 > Novembre > 3

3 novembre [1842], jeudi matin, 8 h. ¼

Bonjour mon cher petit bien-aimé. Bonjour mon Toto chéri, comment vas-tu ? Comment vont tes yeux, mon bien-aimé ? Je pense à toi sans cesse, je rêve de toi quand je dors, je t’aime toujours.
La mère Lanvin vient de venir chercher ma fille, elle reviendra tout à l’heure déjeuner avec moi et me rendra compte au juste de la visite chez M. Pradier. Il fait un temps ravissant à ce qu’il me semble de mon lit et d’après le soleil qui donne dans mes croisées. Tant mieux pour toi et pour le cher petit garçon [1]. Je voudrais pour vous deux qu’il fît toujours beau. Je vous aime tant, mes chers petits amis, que je voudrais pouvoir vous donner tout le soleil et tout le bonheur du monde.
C’était bien beau ce que vous m’avez dicté lundi et hier, c’est dommage que vous m’en dictiez si peu à la fois. Vous êtes un vieux avare. Taisez-vous. Cette pauvre Clarinette aurait bien voulu entendre les BURGRAVES [2]. J’ai fait tout ce que j’ai pu dans mon intérêt et dans le sien mais j’ai peu réussi. Je referai encore de nouveaux efforts parce que je ne me rebute pas facilement, comme vous savez et que j’ai une envie atroce de connaître à fond tous mes BURGRAVES. Cependant, mon pauvre ange, si tu as toujours mal aux yeux, je ne te tourmenterai pas, bien au contraire, j’aurai le courage de ne te rien dire et d’attendre que tu n’en souffres plus. Avant mon plaisir, avant mon bonheur, ta santé, ta chère santé, mon adoré. Il me semble que c’est aujourd’hui jour d’Académie ? Vous irez sans doute, mon Toto ? Tâchez de passer chez moi en allant à cette boutique. J’ai hâte de vous voir. J’ai faim et soif de vos baisers. Dépêchez-vous de m’en apporter tout plein votre cœur et par dessus les bords. Vous savez que j’aime les bonnes mesures et que le BAIN de pied ne me fait pas peur. Ainsi dépêchez-vous. Je ne sais pas si le Jourdain enverra poser mes tapis aujourd’hui, ainsi que nous en étions convenu l’autre jour en convenant qu’il enverrait lundi prendre mes rideaux, ce qu’il n’a pas fait. Nous verrons bien. En attendant, je vous aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 189-190
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette


3 novembre [1842], jeudi après-midi, 2 h. ½

Je suis dans les tapisseries jusqu’au cou, mon adoré, d’autant plus bouleversée que le Jourdain n’ayant pas envoyé lundi comme il l’avait indiqué pour prendre les rideaux, je pensais qu’il n’enverrait pas non plus aujourd’hui pour poser le tapis. Je dis le tapis parce qu’en effet il n’y en a qu’un, celui de la salle à manger étant encore chez le batteur. Quant au morceau que tu as vu, il paraît presque certain qu’on pourra l’utiliser pour mon cabinet et à peu de frais, ce qui est très essentiel pour le moment. De cette façon, je n’aurai pas aussi froid aux pieds. Comme il était impossible à la Suzanne de rien faire tout le temps qu’on pose le tapis, je l’ai envoyéea chez la mère Pierceau avec le gilet et la chemise et une petite lettre pour l’avertir que l’essayage sans la manche et sans elle était tout à fait illusoire et que dans le cas où elle n’aurait plus besoin du gilet modèle, elle le donne à Suzanne tout de suite afin que tu puisses en changer quand tu voudras. Voilà, mon cher adoré, les fous-rires d’aujourd’hui. J’espérais, et j’espère encore qu’en allant à l’Académie tu viendras me voir ne fût-ceb que pour baigner tes beaux yeux et prendre ta drogue [3]. La mère Lanvin a déjeuné avec moi, de là elle a du aller au mont de piété. Elle m’a dit les mêmes choses que ce que Claire m’avait rapporté hier de chez M. Pradier. Attendons encore, comme tu dis, mon cher amour, et puis nous verrons.
Je t’aime mon Toto adoré, je t’aime mon cher amour bien aimé. Tous les jours plus. Tu es si bon, si doux, si noble et si charmant, indépendamment de ta beauté divine et de ton génie que mon amour semble redoubler chaque fois que je pense à toi, c’est à dire à tous les instants de ma vie. Je baise tes pieds, tu es mon Victor adoré.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 191-192
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « envoyé ».
b) « fusse ».

Notes

[1François-Victor Hugo a souffert les mois précédents d’une grave maladie pulmonaire.

[2Victor Hugo a fini de rédiger la version définitive des Burgraves le 19 octobre 1842 et les a lus à Juliette.

[3Victor Hugo souffre des yeux depuis quelques semaines.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne