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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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9 octobre [1842], dimanche matin, 9 h. ½

Si vous n’avez pas de remords, si vous n’êtes pas triste de la mauvaise action que vous m’avez faite, vous n’êtes pas digne de l’amour que j’ai pour vous et vous ne méritez pas d’avoir une femme aussi honnête, aussi fidèle et aussi dévouée. Quand je pense que vous ne m’avez même pas regardée lorsque vous tourniez le coin de ma rue et que vous partiez pour la campagne [1], je suis triste et découragée car je vois bien que vous ne m’aimez pas. J’ai des envies de m’en aller et de jetera le manche après la cognée. C’est très féroce à vous, mon Toto, sachant que vous partiez, de ne m’avoir pas donné un regard d’adieu et de regret, à moi qui vous aime tant et qui n’ai pas d’autre joie que vous. Enfin, mon pauvre bien-aimé, soyez heureux. Mettez bien à profit le beau temps et le bonheur que le bon Dieu vous donne. Moi pendant ce temps-là, je me livre au mal de tête, je compte les six semaines pendant lesquelles je ne suis pas sortie et je vous aime. Voilà une bien belle journée pour tout le monde et un fichu dimanche pour moi. Mais en voilà assez dit car cela ne vous touche guère et que [ça] ne me soulage pas. J’ai pour me distraire de l’argent à donner à droite et à gauche, 26 F. 10 s. à la bonne, au frotteur [2] 6 F., à vous y compris le mois du portier 30 F., au marchand de vin 17 F. 10 s., sans les provisions de bouche et les accessoires de la maison. Voici déjà quatre vingt francs de partis ! Demain la blanchisseuse, c’est effrayant, voici le moment de chaque mois que je redoute le plus [3] et Dieu sait que ce moment se prolongera jusqu’à la fin pour ce mois-ci à cause des loyers, des pensions et du bois qu’il nous faut. Décidément, tu as bien fait d’aller prendre de l’air, du soleil, de la joie et du bonheur hors de chez moi où ceux-ci sont rares.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 159-160
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « jetter ».


9 octobre [1842], dimanche après-midi, 2 h. ½

Si tu reviens ce soir, mon adoré, tout sera pardonné et oublié et je n’aurai que de la joie et de la reconnaissance pour toi. Mais, si comme je le crains, tu restesa à Saint-Prix jusqu’à demain, je serai très en colère et je te garderai une rancune d’éléphant : neuf ans pour le moins, car j’en ai gros sur le cœur. Oui, mon Toto, j’en ai très gros sur mon pauvre cœur depuis que vous ne m’avez pas regardée et que je sais que vous partiez dans ce moment-là pour Saint-Prix. Si j’osais, je pleurerais car j’ai le cœur plein de vilaines pensées. Pourquoi donc, mon Toto, ne m’as-tu pas dit adieu du regard ? C’est bien méchant et bien féroce à toi. Et si quelque chose pouvait ajouter à la tristesse de ton absence, c’est la pensée et presque la peur que tu ne m’aimes plus. Il n’y a que ton prompt retour qui puisse effacer la mauvaise impression de ton départ et le chagrin de ton absence. Dépêche-toi donc de revenir, mon adoré, tu seras plus aimé et plus fêté que jamais. Je suis seule et malheureuse. Je sens que je t’aime trop. Je sens que je t’aimerai toujours ainsi, même après ma mort, s’il survit quelque chose de moi. Je baise ta bouche adorée.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 161-162
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « reste ».

Notes

[1Les enfants de Victor Hugo, ainsi que sa femme, sont partis entre le 24 et le 25 août s’installer pour quelques mois à Saint-Prix dans le Val d’Oise.

[2Personne chargée de frotter et lustrer parquets et meubles.

[3Juliette paye normalement ses créanciers autour du 10 de chaque mois.

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