Mardi matin, 9 h. 10 m.
Bonjour, mon cher petit sorcier, si vous avez deviné que je vous aime et que je vous désire de toutes mes forces, vous êtes en effet le plus grand des Parafaragaramus et des Rhotomagoa [1] connus jusqu’à ce jour. Vous n’êtes pas venu cette nuit, ni ce matin comme vous me l’aviez promis. Sans être aussi sorcière que vous êtes sorcier, je devine pourquoi vous n’êtes pas venu. Vous aurez trop travaillé cette nuit, et la fatigue se sera emparéeb de vous au point de vous retenir chez vous, ce qui fait qu’au regret de ne vous avoir pas vu, je joins l’inquiétude sur votre chère petite personne que j’aime au-delà de toute expression. Mon pauvre petit Toto, tu serais si bon si tu voulais ne pas tant travaillerc pour moi, je te serais si reconnaissante des soins que tu prendrais de ta conservation. Tu ne sais pas combien je m’inquiète quand je pense que tu travailles la nuit. Si tu le savais, tu aurais pitié de nous deux, et tu cesserais au moins pour un temps le travail opiniâtre.
J’ai été bien bonne hier, je ne t’ai pas tourmenté sur cette méprise de l’église. En te voyant si gai et si charmant, mes soupçons se sont évanouisd, et je n’ai plus pensé à te rien demander. « Ah ! le rire fidèle prouve un cœur sans détour. » [2]
C’est bien vrai. Aussi, je ne t’ai pas tourmenté et j’ai été heureuse et confiante. Maintenant, je voudrais te voir, j’en ai besoin. Je ne sais pas ce que je ne donnerais pas pour te voir à l’heure qu’il est : tout ce que j’ai, et même tout ce que je pourrais avoir. Toi, te voir, t’embrasser, t’aimer, te le dire, c’est tout, le reste ne vaut ni un désir, ni un regret.
Juliette
Mon dîner s’este assez mal comporté toute la nuit.
BnF, Mss, NAF 16324, f. 88-89
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « Rotomago ».
b) « emparé ».
c) « travaillé ».
d) « évanoui ».
e) « c’est ».