Paris, 22 novembre [18]77, jeudi midi
Cher adoré, ma plume écrit d’elle-même : Bravo ! bravo !! bravo !!! pendant que mon cœur dit : je t’aime ! et que mon âme ouvre ses deux ailes pour monter jusqu’au faîte de ta gloire auguste et sublime. Sois béni à jamais !
Quelle soirée ! quelle soirée !! quelle soirée !!! On eût dit que toutes les mains étaient réunies dans une seule dans cet unanime applaudissement et on voyait sur tous les fronts s’irradier ton éblouissant génie et on entendait l’immense chœur des âmes répétant avec adoration les merveilles de ta poésie sacrée et divine [1].
Cher adoré, je te dis tout cela dans une sorte d’ivresse qui dure encore depuis hier. Je n’ai pas encore repris terre et toutes mes idées titubent vertigineusement dans ma pauvre tête qui a peine à les contenir. J’ai beau me raccrocher à tous les prosaïsmes de la vie domestique, je ne peux pas venir à bout de me remettre en équilibre. Cependant il le faut, ne fût-ce que pour appeler ton attention sur les diverses lettres en souffrance que tu as reçues depuis plusieurs jours. Il y en a une d’Emmanuel des Essarts qui mérite que tu la lises, bien qu’elle me soit adressée. Il y a aussi ce pauvre Étienne Carjat dont il faut panser la susceptibilité trop motivée par sa déveine artistique et commerciale [2]. Enfin, mon trop grand bien-aimé, j’appelle ton attention sur ceci que tu es la vie de ma vie et l’âme de mon âme.
BnF, Mss, NAF 16398, f. 318
Transcription de Guy Rosa
[Massin]