Guernesey, 29 décembre [18]64, jeudi, 2 h. après-midi
Tu vois par l’heure de ma restitus combien je suis affairée, mon cher petit homme bien aimé, et combien il m’est impossible de songer à sortir de toute la journée. Mais comme tu as toi-même bien des chiens à fouetter en ce moment nous ne nous ferons aucun reproche l’un à l’autre, tout en gardant chacun nos regrets de cette belle occasion de promenade manquée par un très beau jour. Je profite de ce moment de l’année pour faire faire un branle-bas général de ma maison par mes deux servardes, c’est toujours cela de gagné sur leur négligence de toute l’année. C’est pour cela qu’il faut que je reste chez moi pour les stimuler et pour les surveiller, surtout la petite Elisabet qui en fait, elle, le moins qu’elle peut et même rien du tout le plus souvent. Je te rabâche là des choses qui sont encore plus fastidieuses à lire qu’à écrire et je ne comprends pas pourquoi, puisque j’ai tant d’autres choses plus intéressantes pour moi à te dire. Par exemple je te fais penser d’avance que j’espère une bonne petite lettre de toi pour le jour de l’an [1], quitte à te le rappeler encore bien souvent d’ici là. Le cœur m’en saute déjà de bonheur rien que d’y songer et je voudrais la tenir pour la baiser, pour la caresser, pour l’adorer et pour la dévorer des lèvres, des yeux, du cœur et de l’âme.
J.
BnF, Mss, NAF 16385, f. 279
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette