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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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30 octobre [1843], lundi matin, 9 h.

Bonjour mon pauvre bien-aimé, bonjour comment vas-tu ? Que devient ta douleur d’épaule ? J’ai été préoccupéea de la pensée que tu souffrais toute la nuit, je me suis éveillée plus de vingt fois. Aussi je suis rompue ce matin. J’espère que ce n’est qu’une douleur rhumatismale ; moi qui en ai, je sais que cela fait beaucoup souffrir et fait souvent illusion de maladie grave selon l’endroit où la douleur est placée. Mais je ne serai tranquille que lorsque je t’aurai vu, mon cher adoré et que tu m’auras dit que tu vas mieux.
Lanvin sort d’ici. Je lui ai donné les 3 francs pour le papier et je lui ai donné les renseignements sur le meuble en question. Il ne pourra pas coller le papier sans la brosse, a-t-il dit, il ira la chercher dans la journée ou demain s’il y a assez d’autre ouvrage pour aujourd’hui. Il doit en même temps te donner des renseignements sur la presse à relier et sur le couloir mécanique indispensable pour bien faire les manuscrits proprement et solidement. Il te demandera aussi la mesure de ton plus grand papier pour avoir des ais [1] de la même grandeur. Quant au cadre la peinture était bien à la colle et elle s’est encollée dès qu’on a voulu la nettoyer. Mais il paraît que sous cet empâtement la sculpture se retrouve intacte et fort belle à ce que dit encore le Lanvin. Il propose donc de teinter le bois avec de l’huile de lin et de la terre d’ombre et de le vernir ensuite. Tu verras à décider cette question. Quant à moi, vernis ou dorés, ces tableaux me semblent toujours devoir être placés dans mon lit. Décidément au jour je n’aime pas le tapis posé au fond du lit. Il me semble que tu seras de mon avis quand tu l’auras vu au jour. J’ai chargé Lanvin de te prier de venir le plus tôt que tu pourras mon pauvre amour parce que je suis bien triste et bien tourmentée de te savoir souffrant.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 257-258
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « préocupé ».


30 octobre [1843], lundi matin, 9 h. ½

Mon Toto adoré, ne souffre pas, ne sois pas triste parce que je souffre si tu souffres, je suis triste, si tu es triste. J’ai passé une mauvaise nuit, je me réveillais d’heure en heure avec la pensée que tu souffrais, avec la crainte que ce ne soit plus grave que cela n’en a l’air. Enfin, mon Toto bien-aimé, tout ce que tu souffres je le sens augmenté de tout l’amour que j’ai pour toi. Si tu as éprouvé quelque soulagement de mon petit remède d’hier nous le recommencerons tantôt et chaque fois que tu auras une douleur, trop heureuse d’en être quitte à si bon marché. Pauvre ange si doux et si bon, je ne peux pas m’habituer à te voir souffrir comme les simples hommes.
J’espère que Lanvin fera ma commission et que tu te dépêchera de venir me rassurer en m’apportant ta ravissante petite figure à baiser. En attendant, je vais trouver le temps bien long.
Je voudrais bien que tu aies des bonnes enveloppes bien chaudes chez toi. La nécessité de travailler la nuit dans cette saison exige impérieusement que tu sois couvert de choses très chaudes. Tes douleurs rhumatismales même seraient moins vives et moins fréquentes si tu prenais les soins que je t’indique. Je ne sais pas pourquoi tu hésites. Ce n’est pas une dépense, ce n’est pas un embarras non plus. Je ne me rends pas compte de l’obstacle que tu vois ou que tu y mets. Il serait bientôt temps cependant de penser à ta santé et de faire tout ce qu’il faut pour la conserver. Si tu m’aimes tu le feras mon cher amour.
En attendant, et jusqu’à ce que je t’aiea vu, je serai triste et tourmentée. Pense à moi, mon pauvre bien-aimé, soigne-toi et viens bien vite m’apporter de tes chères nouvelles. Je t’aime plus que jamais. Si quelque chose paieb, non pour augmenter mon amour mais me faire sentir combien je t’aime, c’est la souffrance et le malheur. Et encore mon pauvre ange, je n’ai pas besoin de ces tristes occasions pour savoir que ma vie toute entière est en toi et pour toi. Je baise tes chers petits pieds adorés.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 259-260
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « ai ».
b) « pait ».


30 octobre [1843], lundi soir huit heures

Je te remercie du fond du cœur, mon cher bien-aimé, d’avoir été consulter M. Louis. Je ne peux pas te dire combien ta tristesse et la préoccupationa m’ont fait de mal tantôt. J’avais beau me dire pour me rassurer que tu n’avais aucun symptôme alarmant, que ce que tu éprouvais je l’éprouvais tous les jours dans différentes parties du corps, mais l’inquiétude reprenant toujours le dessus. Je suis bien rassurée maintenant, mon pauvre adoré, et il est triste et pénible pour moi de te voir souffrir. Je n’ai pas à me torturer l’esprit par la possibilité d’une maladie grave. Ce soir, mon cher adoré, je te ferai mon petit remède mais moins énergiquement qu’hier. Ta pauvre épaule est assez irritée comme cela. Je te ferai transpirer tout doucement et sans te faire souffrir, voilà tout.
J’ai enfin terminé ce fameux fond de lit. Depuis que la solution de continuité est masquée je trouve la chose charmante. Mais auparavant, quelles que soientb la richesse et la beauté du tapis, je trouvais que cela n’était pas à sa place. Je suis très vexée d’avoir décollé mon bonhomme. Il faisait si bien sur cette petite console que c’est vraiment grand dommage de l’avoir détraqué. Enfin, il faut vouloir ce qu’on ne peut empêcher. Trop heureuse même, si dans toute occasion j’en suis quitte pour si peu.
Baise-moi mon Toto adorable et adoré. Tâche de venir bien vite. Je serai très douce, bien tendre et peut-être très aimable, qui sait. Dans tous les cas j’aurai bien soin de toi et je serai bien heureuse.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 261-262
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « préocupation ».
b) « quelque soit ».

Notes

[1Ais : planches de bois.

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