Jersey, 13 février 1853, dimanche matin 8 h.
Bonjour, mon bel endormi, bonjour, ne vous réveillez pas car il fait jour et très froid. Quant à moi qui me couche avec les poules, j’ai le droit de me lever avec l’aurore et de souffler dans mes doigts et j’en use. Je voudrais avoir de même le droit d’aller vous émoustiller dans votre lit. Vous verriez de quelle façon je m’en acquitteraisa, mais à distance il m’est difficile de faire agir mon magnétisme, ANIMAL. Du reste, vous n’en êtesb pas plus vexé pour cela, probablement, et vous ne demandez pas mieux que de rester hors de la portée de mes importunes tendresses. Taisez-vous car je sens que je tournerais vite au grésil et à la neige tant la bise de ma bonne humeur souffle du nord. Heureusement nous sommes dans la saison des variations brusques, car à peine vous ai-je menacé d’une stupide giboulée de récriminations et de jérémiades, que mon amour s’est retourné du côté de l’espérance et du soleil et que mon âme vous sourit à travers tous les doux souvenirs de vingt ans. Quoi quec je fasse et quoi quec je dise, mon cher bien-aimé, je t’aime comme le premier jour et je ne changerais pas ma solitude et mes petits découragements et de [sic] mes petits ennuis contre la vie la plus entourée, la plus brillante et la plus recherchée. Je peux bien être triste et me plaindre souvent de te voir trop peu, mais il me serait impossible de désirer qui et quoi quec ce soit en dehors de toi et de ton amour.
Juliette.
BnF, Mss, NAF 16373, f. 155-156
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain
a) « acquiterais ».
b) « vous n’en n’êtes ».
c) « quoique ».
NB : une notation barre, en gros caractères, la dernière page de cette lettre : LIVRES STERLINGS.
Jersey, 13 février 1853, dimanche après-midi, 2 h.
Je regrette, mon pauvre petit homme, de n’avoir pas pu profiter de ton offre tout à l’heure, mais, prise à l’improviste, en plein jour et par le plus beau temps du monde, il m’était impossible de sortir avec ma toilette délabrée. Si tu avais eu le temps d’attendre que je me sois habillée de fond en comble ou de pied en cap, je serais allée avec toi, même pour ce pauvre petit bout de chemin de Greenville [1], mais tu étais pressé. J’ai dû me résigner à mon guignon ordinaire. Pour me consoler je vais copire à fond de train afin que vous m’en redonniez d’autre ce soir [2]. Ce sera en même temps une aimable diversion à mon affreux mal de tête.
Je ne sais pas pourquoi je me méfie de votre RÉUNION [3] chaumontel de votre barbe fraîche et de vos airs hanchés. Tout cela réunia à la fois me fait l’effet d’une bonne petite trahison OUI CHARLES [4]. Mais prenez garde que je ne vous surprenne en flagrant délire et que je ne vous fiche des bons coups et que je ne vous mette sur les dents en les cognant de toutes mes forces pour en faire des chicots. Profitez encore aujourd’hui de ma stupide crédulité mais méfiez-vous après et toujours. En attendant je vous attends et je vous aime comme le plus honnête des hommes. Ça n’est pas de votre faute, aussi je ne vous en veux pas mais j’admire ma simplicité. Où diable la confiance va-t-elle se nicher ?
Juliette
BnF, Mss, NAF 16373, f. 157-158
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain
a) « réunit ».