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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 10 février 1853, jeudi après-midi,2 h. ½

Ceci est du gribouillis condensé, mon cher petit homme, ne vous étonnez donc pas de son peu de volume et rappelez-vous d’ailleurs le proverbe : dans les petits pots les bons onguents, dans les petits mots les grands amours et ne mesurez pas, je vous prie, mon cœur à mon esprit. Je commence seulement de tout à l’heure à voir clair dans mes affaires. Jusqu’à présent, depuis lundi, je n’avais vu autour de moi que paquets, que fouillis et que poussière [1]. Maintenant je suis presque aussi bien rangée que l’atelier de Charles [2], aux étiquettes près. Aussi, à partir d’aujourd’hui, je vais fonctionner avec une régularité parfaite dans toutes mes occupations afin de ne donner lieu à aucune plainte ni à aucune réclamation de votre part. Laissez-moi me reposer un peu, cet après-midi seulement, et vous verrez ensuite de quoi je suis capable. De votre côté, mon cher amour, vous seriez bien aimable de venir travailler auprès de moi. Cela doit vous être d’autant plus facile que la poste a fini son service depuis longtemps et qu’il pleut à tout instant. C’est le cas ou jamais de penser un peu à moi et de venir me trouver.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 147-148
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain


Jersey, 10 février 1853, jeudi après-midi, 3 h. 

Je regrette moins maintenant de ne m’être pas chargée de te faire apporter du charbon car tu ne l’aurais pas eu à temps. Je sais bien que c’est payé un peu cher l’opportunité mais la faute en est aux stupides servardes , à commencer par la mienne, qui n’ont pas la prévoyance de prévenir deux ou trois jours d’avance. Je sais bien que tout cela n’est rien à côté de l’éternité et même des exigencesa de la démocratie pacifique de Jersey. Mais le tout réuni, combiné et fondu ensemble constitue un embêtement pyramidal et une débine idem qui te forcentb à travailler sans relâche, nuit et jour et toujours depuis un bout de l’année jusqu’à l’autre. C’est à ce point de vue-là que je trouve absurdes et déplorables toutes les grivèleriesc auxquelles tu es en proie, aussi bien de la part de ta laveuse de vaisselle que de celle des patriotes à tout crin qui te font l’éminent honneur de te gruger sous prétexte d’égalité, de liberté et de fraternité, pendant que tu n’as pas de feu en hiver dans ta chambre et que tu portes des souliers percés. Il y a loin entre la façon d’être de ces citoyens françaisd envers toi de celle de ce colonel hongrois cirant les bottes du général Meszaros. En vérité il faut que les idées auxquelles tu te dévouese avec tant d’abnégation et de sublime courage soient bien bien puissantes et bien irrésistibles pour te faire passer par-dessus la répugnance que doivent t’inspirer les hommes que tu défends et que tu sers. Pour moi, mon Victor, je t’admire, je te plains et je t’adore comme un second Christ.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 149-150
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « exigeances ».
b) « force ».
c) « grivelleries ».
d) « francé ».
e) « dévoue ».

Notes

[1Le 7 février Juliette a emménagé dans son nouveau logement situé au premier étage de l’auberge Green Pigeon.

[2L’atelier de photographie de Marine-Terrace.

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