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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 20 janvier 1853, jeudi matin, 9 h.

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, dormez et ne vous occupez pas de ce que fait mon âme autour de vous. Cela ne vous regarde pas ; et même si vous sentez qu’elle se glisse sous votre couverture, laissez-la faire ; en somme, elle ne vous mangera pas, quoiqu’elle ait très faim de bonheur et d’amour. Comment êtes-vous revenus hier de ce cours nocturne ? A quelle heure êtes-vous rentrés ? Est-ce que vous avez été mouillés ? Plus j’y pense et moins j’approuve ces déplacements le soir, dont les moindres inconvénients sont de vous enrhumer, de déranger vos heures de repos et de vous embêter. Sans parler de celui beaucoup trop sérieux de vous exposer à quelque affreux guet-apens bonapartiste, d’autant plus facile à commettre que cette île est fertile en rôdeurs de nuit. Je ne veux pas faire une scie [1] de mes inquiétudes à ce sujet mais je te supplie, mon bon petit homme, de te prêter le moins possible aux exigencesa de tes collègues politiques au moins pour celles de la nuit.
C’est aujourd’hui jour de poste. Puisse-t-il t’apporter de bonnes nouvelles de partout. Mais celle que je te souhaite entre toutes les autres, je n’ai pas besoin de te la dire et ton pauvre petit Toto ne me le pardonnerait peut-être pas. Du reste, comme il n’en sera toujours que ce qui plaira à Dieu et à cette dame [2], il n’y a pas grand inconvénient à désirer autre chose que ce qui sera.
Quant à moi, mon cher petit homme, je ne me souhaite pas d’autre bonne nouvelle que celle de votre amour et je n’ai pas de plus grand désir que celui de vous voir le plus tôt possible. Le RESTE viendra quand il pourra, pourvu que vous m’aimiez et que vous n’aimiez absolument et entièrement que moi. Je saurai bien m’en passer.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 77-78
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « exigeances ».


Jersey, 20 janvier [1853], jeudi soir, 9 h. ¾

Que le bon Dieu te ramène vers moi ce soir, mon bien-aimé, s’il n’y a aucun danger pour toi à revenir seul ; mais qu’il t’en éloigne bien vite, et sans même regarder de mon côté, s’il pouvait y avoir l’ombre d’un risque pour ta chère vie. Nous sommes revenues très gaillardement Suzanne et moi par Greenville [3] et sans avoir fait aucune mauvaise rencontre. Le temps était très doux et le ciel très beau, y compris un menaçant haloa qui entourait la lune, ce qui m’a fait regretter de ne pas t’avoir laissé le parapluie en te quittant. Mais j’espère que quelque bonne âme prévoyante et charitable t’en prêtera un si la pluie tombe au moment où tu sortirasb de ce cours [4] dont j’avais intervertic le jour depuis hier. Cela ne m’empêche pas de trouver Pierre Leroux un salop, sans aucun t, et doublement salop puisqu’ild ne m’invite pas à orner son machin philosophique de ma présence le jour où vous y brillez. Il est vrai que cela dépend de vous peut-être plus que de lui ? Dans ce cas-là, je retire la moitié de sa saloperie et je le proclame un simple cochon de double porc qu’il pourrait être. Tout cela sans préjudice de la divinité que je ne conteste pas, aimant mieux y croire que d’y aller voir dans la crainte de ne pouvoir pas la SENTIR. J’ai oublié de te demander à quelle heure finirait cette soirée philosophico, politico, mystifico jersiaiso albionnoso et franco ? Mais je pense que cela ne peut pas se prolonger au-delà de 10 h. Ainsi, si je dois te revoir ce soir, ce sera bientôt. Sinon, mon doux amour, que Dieu te conduise en paix chez toi et bonsoir jusqu’à demain.

Juliette.

Je m’aperçois qu’il pleut avec rage et que le vent devient furieux. Pourvu que tu ne [sois  ?] pas seul et que tu ne sois pas mouillé. Mon Dieu.

BnF, Mss, NAF 16373, f. 77-78
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « halot ».
b) « sortira ».
c) « intervertit »
d) « puisque il ».

Notes

[1Scie : air qu’on rabâche.

[3Sans doute Juliette a-t-elle emprunté Gren Street, puis Green Street, qui relient le centre de Saint-Hélier au Havre-des-Pas.

[4Cours de philosophie de Pierre Leroux (Cf. lettre du 19 janvier 1853, mercredi soir, 10 h.¼, note 1).

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