Jersey, 21 mars 1853, lundi matin, 8 h.
Bonjour, toi que j’aime, bonjour, mon ineffable adoré, bonjour, la fleur de mon âme, bonjour, le rayon de mes yeux, bonjour, le souffle de ma vie, bonjour avec le printemps d’aujourd’hui et mon amour de toujours, bonjour.
Enfin le voilà donc arrivé tant bien que mal ce pauvre printemps. Nous allons voir comment il se comportera tout le temps de sa dictature. Dès ce matin il ne commence pas trop mal pour un nouveau débarqué. Vous pourrez en juger vous-même de votre fenêtre et d’après vos trognons de choux. Chers petits TROGNONS, ils ne s’attendaient pas à l’honneur que vous leur feriez de les pourtraire [1] en pied et moi d’avoir le bonheur de les garder à vue dans ma collection [2]. Merci, mon cher petit Toto, merci, mon bon petit homme, merci, je t’aime et je suis très heureuse d’être la chenille de vos choux. Telle est ma grandeur.
Eh bien, affreux gueulard, avez-vous bien bâfréa hier ? Vous en êtes-vous bien donné de ce fameux turbot d’un shilling ? Mais surtout, avez-vous fait ma commission au blagueur Amphytrion en bottes jaunes et en bonnet à poil ? Et plus que tout ça encore, avez-vous pensé à moi et m’avez-vous aimée ? Moi, je n’ai pas fait autre chose que de vous regretter, de me souvenir de notre douce petite promenade de la soirée et de vous aimer comme quatre. Comme je ne pouvais pas espérer vous voir le reste de la soirée, je me suis couchée de bonne heure pour pouvoir rêver de vous et j’y ai réussi. Depuis que je suis éveillée je suis occupée de vous et je vous aime à frais et de nouveau jusqu’au moment où vous viendrez m’apporter votre cher petit bec à baiser. Tâchez que ce soit bientôt.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16373, f. 285-286
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain
a) « baffrer ».
Jersey, 21 mars 1853, lundi matin, 11 h.
Toujours la même au même, ce qui constitue un commerce épistolaire peu varié. Du reste, je ne vous plains pas puisque c’est vous, GEORGES Toto [3], qui le voulez. Je me lave les mains de cette encre et je vous laisse vous démener, comme vous pouvez, dans ces margouillis d’inepties, dans lesquels un académicien ne retrouverait pas ses petits.
Cher petit homme, comment vas-tu, comment s’esta passé le d’hier, à quelleb heure êtes-vous revenus tous ? Tu me le diras quand je te verrai. J’avais espéré que ce serait ce matin mais je crains d’avoir pris mon désir pour un pressentiment heureux car voici déjà l’heure bien avancée. Enfin, mon cher adoré, l’espoir est une sorte de mirage du bonheur désiré ; aussi je ne me plaindrai pas de celui que j’ai eu ce matin quand même tu ne pourrais pas le réaliser. Je t’aime, mon Victor, tu ne le sauras jamais autant que j’ai d’amour. Ton regard me remue jusqu’à la moelle des os, ta voix me charme comme la plus douce musique, tes baisers m’enivrent comme la plus capiteuse volupté, tes paroles m’électrisent l’âme et m’éblouissent l’esprit comme des rayons de soleil, ton amour est ma vie même. Aussi, mon adoré, quand tu me manques, tout me manque à la fois. C’est pourquoi je te supplie avec tant de vivacité et tant d’insistance de me donner tous les moments dont tu peux disposer et que je t’attends avec cette ardente et tendre impatience.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16373, f. 287-288
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain
a) « c’est ».
b) « qu’elle ».