Guernesey, 6 août, [18]70, samedi soir, 6 h.
Voici l’heure où ma mouche cesse de bourdonner autour de ton gros coche empêtré, mon grand cher bien aimé, et je profite de ce répit pour filer le parfait amour à mon profit avec ma pauvre petite bêbête de restitus. J’ai été bien contente hier quand j’ai vu que le départ était de nouveau, grâce à toi, ajourné jusqu’à mardi prochain [1]. Peut-être pourrais-tu l’ajourner indéfiniment en ayant soin de ménager quelque bonne surprise, comme celle que tu nous promets pour lundi, tous les jours de l’année [2] et son ami autrichien le docteur Pick, Mme Engelson et M. et Mme Oliver. Le poète raconte dans son carnet qu’ils ont installé les deux enfants sur des chaises hautes couvertes de feuilles et de fleurs, des couronnes de fleurs posées sur leur tête, munis d’un sceptre de fleurs à la main. « Ils étaient ravis ces pauvres deux anges ».]]. À ta place je n’y manquerais pas. Jeanne et Petit Georges peuvent servir d’appâtsa plus d’une fois. Quant à moi, je m’y abonne d’avance pour tous les jours et pour toujours. En attendant, je te remercie de m’avoir amené Petite Jeanne tantôt. Cette ravissante petite créature a le don de me remplir de douceur, de joie et de tendresse chaque fois que je la vois. D’y penser, j’en ai le cœur tout remué et il me semble que mon amour en augmente encore, comme si c’était possible. Vous êtes tous mes bien aimés que je bénis et que j’adore.
BnF, Mss, NAF 16391, f. 214
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
a) « d’appas ».