Paris, 11 juin [18]72, mercredi matin, 8 h.
Je voudrais être sûre, mon grand bien-aimé, que tu as mieux dormi que moi pour ne pas me plaindre de mon horrible nuit. J’espère que Suzanne m’apportera de bonnes nouvelles de toi qui me consoleront de mes tribulations physiques. Je voudrais être déjà à demain pour n’avoir plus devant moi l’ennui de penser que je ne te verrai pas ce soir. Le contrecoup de ta corvée retentit désagréablement dans la douce habitude que j’ai prise de passer toutes mes soirées avec toi. Aussi serai-je bien contente quand ce fameux banquet centenaire sera fini et digéré [1]. En attendant je me propose d’aller voir tous mes Koch [2] grands et petits dans leur poulailler ce soir. Je prendrai une voiture et si je me sens très bien pour revenir à pied avec Louis, je le ferai. Tels sont mes projets monstrueux. Dame, il faut bien que je lutte de débauche avec toi, autrement où serait l’équilibre ? C’est égal, je regrette de ne pas pouvoir entendre les speechs développés que tu feras aux nombreux toasts qui te seront portés ce soir. Je ne suis pas non plus sans inquiétude sur les conséquences de ce banquet au point de vue féminin. On a beau être résigné à tout et autre chose, on n’en est pas plus content pour cela, au contraire, je le sens plus que jamais aujourd’hui.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 163
Transcription de Guy Rosa