Paris, 9 mai [18]72, jeudi matin 7 h.
Cher adoré, je voudrais que mon bonjour, donné du plus profond de mon cœur, fût pour toi aujourd’hui le beau jour, le bon jour, le bonheur ; j’espère que cela n’est pas impossible et que tu finiras par trouver le moyen de tout concilier et de tout pacifier autour de toi. Comment as-tu passé la nuit, mon pauvre tourmenté ? Je crains que tu n’aies pas bien dormi et j’en suis toute triste ce matin. Quand donc, mon Dieu, finiront ces tracas, séries douloureuses qui empoisonnent ta vie domestique ? Vraiment je finirai par prendre en haine et en horreur toutes ces servantes qui s’entendent à qui pire pire pour te martyriser dans ce que tu as de plus sensible et de plus cher au monde [1]. Je m’arrête parce que je sens que je suis impuissante à te venir en aide et que, loin de te rendre service, je ne ferais peut-être qu’augmenter ton souci et ton mécontentement. N’oublie pas que tu as Paul de Saint-Victor à dîner ce soir et tâche de venir assez temps pour le recevoir. Jusqu’à présent je ne vois que lui, à moins que tu ne veuilles y adjoindre le couple P. Meurice en leur écrivant un petit mot d’invitation tantôt que Suzanne porterait tout de suite. Quant à moi, pourvu que je sois avec toi et que tu ne souffres pas, je suis heureuse.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 129
Transcription de Guy Rosa