11 décembre [1839], mercredi, midi ½
Bonjour, mon cher bien-aimé. Bonjour, mon petit Toto. Je comptais sur vous cette nuit bien sérieusement et vous n’êtes pas venu, vieux vilain. Aussi je suis triste et j’ai mal à la tête. C’est dans huit jours que votre sort sera décidé, mon grand Toto, et j’espère bien que vous ne serez pas homme à l’unanimité [1]. Il est vrai que vous aurez fait tout votre possible pour cela comme les autres candidats l’ont fait dans un sens contraire. Cependant je serais d’avis d’employer ces derniers huit jours à faire des visites à des gens qui te sont tout dévoués. Quant à moi, je suis toute prête, à un quart d’heure prèsa, ainsi que cela ne t’arrête pas, au contraire. Jour, mon petit o. Jour, mon gros To. Baisez-moi, aimez-moi et pardonnez-moi de prendre au sérieux toutes les belles promesses que vous me faites. J’ai fait votre tisaneb, mon Toto. À commencer d’aujourd’hui, on a acheté des pavots, ceux du voyage sont finis. J’ai regardé aussi ma petite vaisselle, elle est charmante et vaut au moins dix francs, au jour elle est encore plus jolie que la nuit. Merci, mon Toto adoré, merci. Je voudrais copire à présent. Dépêche-toi de me donner mon premier acte, je t’en prie, je t’en prie [2]. Je t’aime, mon Toto. Je vais me dépêcher de déjeuner et de me débarbouiller dans le cas où tu viendrais me chercher ; j’ai toujours dans l’esprit le fameux MIROTON DE LA MARSEILLAISE [3], c’est charmant parce que c’est ça on ne peut mieux. J’aime monsieur Chateaubriand de l’avoir trouvé. Tu pourras le lui dire de ma part, tu pourras en même temps lui dire aussi que je t’aime et que je t’adore, ça lui fera plaisir.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16340, f. 147-148
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse
a) « prêt ».
b) « tisanne ».
11 décembre [1839], mercredi soir, 4 h. ½
Pas encore venu, mon adoré ? Et moi qui m’étais si bien préparée à vous fêter et à vous baiser comme je vous aime. En vérité, je n’ai pas beaucoup de chance, il fait un temps de loup. Cependant, je m’étais figuréea que tu viendrais me prendre pour sortir et aller à tes visites car le temps presse. Il paraît que tu n’es pas de mon avis ? Au reste, je suis plus près du tien que du mien et si tu voulais me donner au coin de mon feu les quelques minutes que je gagnerais en courant l’académicien avec toi [4], je t’engagerais fort à ménager ta peine et ton temps. Malheureusement, je ne gagne rien à ce que tu ne te bougesb pas de chez toi. Je t’attends toujours et je te vois très peu et c’est triste quand on aime comme je t’aime, de toute son âme et de tout son cœur. Baisez-moi, mon petit homme, en désir et en pensée. En attendant que ce soit en amour et en réalité. J’ai renettoyéc de nouveau ma vaisselle, maintenant on peut manger dedans sans dégoût et les yeux OUVERTS. Je t’assure que la saucière et les assiettes sont de vrais bijoux exquis et qui vaudraient maintenant qu’elles sont propres plus de 10 francs ou 12 francs. Je suis ravie de notre marché et si tu voulais me faire la plus heureuse des femmes, tu n’aurais qu’à venir souper avec moi ce soir. Mon souhait n’exclut pas le désir bien ardent que j’ai de te voir tout de suite, au contraire. Quand te verrai-je, mon petit homme ? Où es-tu, que fais-tu et à qui penses-tud ? Je voudrais le savoir car il me semble que si c’était à moi, tu viendrais plus vite et tu t’en irais moins, est-ce vrai ? Je t’aime, mon Toto.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16340, f. 149-150
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse
a) « figuré ».
b) « bouge ».
c) « renétoyé ».
d) « pense-tu ».