22 novembre 1860

Guernesey, 22 novembre 1860, jeudi après-midi, 3 h. ¼

Sois tranquille, mon grand, mon doux, mon généreux bien-aimé, j’aurai pour cette pauvre philosophe en jupon tous les égards, toute la patience et toute l’hospitalité qu’on doit à une honnête femme, à une malade et à un cœur vaillant. Pourvu que cette compagnie te plaise et te repose et te fasse trouver ma maison moins vide et moins morose sans pour cela m’ôter ou diminuer ton amour pour moi je suis toute prête à me faire l’auditeur attentif des prédications philosophiques de cette nébuleuse norvégienne [1], quitte à n’y rien comprendre. Je te le répète, pourvu que tu y trouves, toi, quelque plaisir et quelque intérêt et que tu m’aimes toujours et uniquement je suis contente, je suis heureuse et philosophe. à preuve que j’ai mis le couvert de cette mangeuse de SUBTRATUM sans être bien sûre si elle viendra ce soir. J’en serai quitte pour le retirer si elle ne vient pas et pour te forcer à manger sa part. Attrapé^a  ! Je me venge comme je puis de l’étique et de l’[éseité ?]. Fichtre, il n’est pas facile de se tirer de tous ces mots abracadabrants, aussi j’y renonce. Donc, mon cher petit homme adoré, quoi qu’elle arrive ce soir ou n’arrive pas nous serons très geais et nous aurons très bon appétit et nous nous aimerons de toutes nos deux âmes et nous serons très heureux. Voilà ma métaphysique^b. En attendant, je ne serais pas fâchée de te voir un brin ne fût-ce que le temps de te baiser de la tête aux pieds et de te dire : je t’aime.

BnF, Mss, NAF 16381, f. 300
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette

a) « attrappe »
b) « métaphisique »
c) « fusse ».