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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 12 nov[embre] [18]72, mardi matin, 8 h.

Cher bien-aimé, tu viens de me glisser entre les yeux tout à l’heure et je n’ai pu entrevoir que le profil de ton épaule au moment où tu disparaissais. C’est égal, ce petit morceau de toi fait mon grand régal ce matin et je te remercie de toute mon âme de me l’avoir donné. J’espère que tu as bien dormi toute la nuit malgré l’activité surhumaine de ton génie [1]. Cette activité est si prodigieuse qu’elle t’absorbe quelque fois au point de sembler ne pas me connaître et rester indifférent à mon amour qui, lui, grandit et s’accroit en raison même du peu de temps qu’il me reste à vivre. Mon ambition est de t’offrir à la porte de l’éternité un amour tellement complet et parfait qu’il ne te laisse rien à désirer. C’est pour cela, mon adoré, que je suis si soucieuse de l’état de ton cœur qui doit toujours battre à l’unisson du mien pour parfaire [cette  ?] grandea œuvre, plus précieuseb que la pierre philosophale et moins chimérique, de deux cœurs et de deux âmes fondus et amalgamés ensemble de façon à n’en faire qu’un [2]. Pardonne-moi si cette préoccupationc unique de notre amour te fatigue et te gêne souvent dans tes travaux sublimes et divins mais ne m’interdit pas de trop t’aimer. Je le voudrais que je ne le pourrais pas. C’est aujourd’hui jour de poste, puisse-t-il t’apporter de bonnes nouvelles de tes chers enfants. Je le demande à Dieu comme récompense de ton dévouement à l’humanité. Je le lui demande comme la bénédiction de ton sacrifice : le renoncement aux caresses de tous les instants de ton Petit Georges et de ta Petite Jeanne. Je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16393, f. 313
Transcription de Bulle Prévost assistée de Florence Naugrette

a) « grand ».
b) « précieux ».
c) « préocupation ».

Notes

[1Après la composition de divers poèmes, Victor Hugo entame la rédaction du roman Quatrevingt-Treize. Il note dans ses carnets à la date du 16 novembre 1872 : « Je commence aujourd’hui à écrire le livre Quatrevingt-Treize », puis le 16 décembre : « C’est aujourd’hui seulement que je commence vraiment à écrire le livre Quatrevingt-Treize… Je vais maintenant écrire devant moi tous les jours sans m’arrêter, si Dieu y consent. »

[2Paraphrase du poème « Quand deux cœurs en s’aimant ont doucement vieilli… », Toute la Lyre, (VI, 64), manuscrit daté du 22 septembre 1854.

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