Guernesey, 20 décembre, [18]65, mercredi matin, 8 h.
J’ai bien peur, mon pauvre doux adoré, que ta nuit n’ait pas été meilleure que la mienne qui n’a été rien moins que bonne, au point de vue du sommeil seulement. Autrement, je n’ai souffert de rien que de l’insomnie, ce qui, pour moi, vieille inutilité, ne signifie rien. Malheureusement, il n’en n’est pas de même pour toi qui te dépense corps et âme tous les jours dans un travail surhumain [1]. Aussi, je ne suis pas sans quelque inquiétude ce matin en ne trouvant pas le signal à son poste à l’heure accoutumée [2]. Je me hâte de finir ce gribouillis pour aller voir si tu es levé en souhaitant que tu fasses la grassea matinée pour rattraperb le temps perdu dans la nuit. Voilà donc enfin nos fameux COLIS signalés, ça n’est pas malheureux [3]. Reste à savoir dans quel état ils arriveront. Mais, quel que soit leur bon ou mauvais état, il y a une chose qui pour moi domine tout, c’est ton ineffable bonne grâce à me livrer ces infortunés bibelots dans un moment où tu es si pressé que tu ne sais auquel entendre. Ce n’est pas assez de t’en remercier, mon grand bien-aimé, j’adore ta bonté dans ce qu’elle a de plus divinement charmant. Je voudrais pouvoir tirer ma jeunesse intérieure de son vieux fourreau pour te sourire, pour te baiser, pour t’admirer, pour t’aimer, pour t’adorer comme tu méritesc de l’être.
BnF, Mss, NAF 16386, f. 212
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
a) « grâce ».
b) « rattrapper ».
c) « mérite ».