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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 août [1840], dimanche matin, 8 h.

Bonjour mon bien-aimé, bonjour mon cher petit homme. Tu n’exiges pas que je sois bien gaie ni bien heureuse ce matin car ce serait plus que de l’obligeance ce serait de la cruauté. Je suis triste et malheureuse, je suis encore bien fâchée, chose que je ne dirai pas parce que, si c’est vrai, se plaindre est absurde et si cela ne l’est pas, il est injuste de se plaindre et d’ennuyera son Toto. J’ai travaillé hier en t’attendant jusqu’à minuit. Ce matin j’ai fait savonner toutes les choses neuves que j’ai étenduesb sécher à ma fenêtre, c’est une petite économie de blanchisseuse imperceptible mais qui te prouvec ma volonté de t’obéir [qui sera en moi  ?] et de te soulager de la charge trop lourde que tu as voulu porter malgré moi. Je te le répète, mon Toto, il est encore temps de revenir sur un mauvais parti pris. Il sera même toujours temps car je ne supporterai jamais que tu sois malheureux ou gêné à cause de moi. Mais enfin ne vaudrait-il pas mieux dans l’intérêt de mon propre avenir renoncer à une position impraticable et ne serait-il pas plus sage de me rendre la liberté de faire mon état et de gagner ma vie moi-même ? Il faut cependant, mon bien-aimé, qu’une porte soit ouverte ou fermée, si elle n’est qu’entrebâillée elle gêne tout le monde : ceux qui veulent être [ici ?] et ceux qui veulent circuler. Je ne peux pas te promettre plus que je ne peux tenir et je sens que quelques formes plus douces et réservées tu apportes dans le contrôle de ma dépense il me sera toujours très dur et peut-être même impossible de te rendre compte des carottes de mon pot au feu, de la voie d’eau de ma fontaine, de l’opportunité d’une paire de bas et de la nécessité d’une chemise blanche. Entre mari et femme c’est peut-être praticable parce qu’alors la chose qui me blesse n’existe pas et ce que le mari fait à sa femme, la femme peut le faire au mari et qu’au bout tout cela l’argent économisé est placé et sert de dot aux jeunes filles ou bien encore à acheter un manchon au bout de l’année mais moi je ne suis pas dans cette catégorie et j’aime mieux travailler pour vivre et gagner mon pain moi-même. C’est sans amertume et sans colère, mon adoré, que je te dis cela ; mais je sens que je ne peux pas refaire le fond de mon organisation et que toi et moi seronsd très malheureux si nous nous [essayons ? engageons ? dans ?] une chose impossible. Penses-y mon adoré et aime-moi comme je t’aime.

BnF, Mss, NAF 16343, f. 111-112
Transcription de Chantal Brière

a) « ennuier ».
b) « étendu ».
c) « prouves ».
d) « seront ».

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