8 août [1840], samedi après-midi, 3 h. ½
Vous vous êtes en allé presque fâché, mon cher petit Toto, et Dieu sait pourquoi. Vous êtes d’une impatience telle qu’il n’y a pas moyen de vous satisfaire, quelque diligence qu’on fasse, mais vous ne devriez pas grogner et savoir gré au moins des efforts superflus que je fais pour être toujours à vos ordres. Baisez-moi scélérat et revenez tout de suite laver vos yeux et recevoir vos baisers que vous n’avez pas eu le temps de prendre tout à l’heure. Je ne vous ai jamais plus aimé mon Toto, savez-vous ça ? Savez-vous que pour mon amour vous êtes toujours plus jeune, plus beau, plus noble et plus charmant ? Eh ! bien si vous le savez ne grognez pas et laissez-vous faire votre [rue ?] sans impatience. Il fait une chaleur absurde : on sue à ne rien faire. On se croirait presque à l’île Saint-Honorat [1] moins le bonheur, la vieille ruine, le grand palmier, les petits pins, la mer bleue, le PÂTRON ROSE M. REY [2], moi et toi, peu de chose en vérité pour faire une comparaison ressemblante. Voilà comme je suis moi quand je me mêle de faire des images et des similitudes. C’est absolument comme Résisieux qui ne distingue pas la toile du calicot mais qui reconnaît un poirier d’avec un hartichaut [3]. Jour papa. Je suis bête mais je vous aime ce qui vaut MIEUR que d’avoir de l’esprit et d’AJAMBER par-dessus l’amour sans y toucher même avec son soulier. C’est bon, vieux gourmand, on vous donnera beaucoup de dinde rôtiea, beaucoup de gigot, beaucoup de poulet, beaucoup de côteletteb et beaucoup d’amour, quoique ce soit ce que vous ne demandez pas beaucoup. Seulement ne soyez pas grognon sans motif et aimez-moi un peu. Jour Toto, jour mon petit o, papa est bien i voime, voime mais il me doit encore cinq sous sur ma semaine.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16343, f. 81-82
Transcription de Chantal Brière
a) « rôti ».
b) « côtellette ».