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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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24 novembre [1837], vendredi après-midi, 2 h. ¾

Je suis plus gaie aujourd’hui mon petit homme. Je suis sûre que vous savez pourquoi ! Il ne tiendrait qu’à vous que je fusse toujours comme aujourd’hui, mais vous ne vous y prêtez que si rarement que ce n’est pas la peine d’y compter. Quoi qu’il en soit mon cher petit homme, je suis beaucoup mieux à présent et si vous teniez à me remonter [1] tout à fait vous n’auriez qu’à revenir la nuit prochaine. Je vous en dirais de bonnes nouvelles. Il fait un temps ravissant. Quel dommage que nous ne puissions pas nous promener dans les bois jusqu’à la nuit comme en 1834 et en 1835. Voilà deux années de suite que les automnes ne nous sont pas très favorables. Le printemps prochain nous fera-t-il plus heureux ? j’en doute. En attendant et pour prendre patience, je t’aime de toutes mes forces. Je ne pense qu’à toi. Je mets toute ma joie et tout mon espoir dans une matinée comme celle d’aujourd’hui et je t’aime. Jour mon petit o. Tiens, voici déjà la nuit et je n’ai encore rien fait que d’être heureuse. Comme le temps passe quand vous êtes là, mais aussi comme il dure longtemps quand je vous attends. À bientôt mon cher petit Toto. Je le désire sans oser y croire beaucoup car je sais trop qu’une fois que vous êtes parti c’est pour longtemps.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16332, f. 89-90
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein


24 novembre [1837], vendredi soir, 5 h. ½

Voilà déjà trois heures que vous êtes parti, mon adoré. Ce temps qui peut-être vous a paru si court a déjà bien passé sur ma vie. Il me semble qu’il y a plus d’un mois que je ne vous ai vu. C’est que la nature m’a donné la faculté de digérer le bonheur avec une si grande vitesse que j’ai toujours faim, ce qui est cause que je suis très féroce une grande partie de l’année et que je pousse d’affreux rugissements qui n’effrayent personne parce qu’on ne les entend pas, mais il y a gros à parier que si vous entriez dans ma chambre dans ce moment-là je me jetterais sur vous pour vous dévorer. Heureusement que vous êtes averti et que vous ne vous laissez manger que jusqu’où vous vouleza. Soir pa. Quand donc que vous viendez [2] ? Est-ce que vous travaillez encore ? C’est bien affreux. Si cela continue, je prendrai le parti de gagner 40 mille francs par an. Au moins vous vous reposerez, ce sera toujours ça de gagné. Pauvre adoré, ça ne serait que juste après cinq ans de travaux forcés, je parle sans calembourb et avec la tendresse et la reconnaissance la plus profonde. Je voudrais enfin prendre mon tour dans cette rude tâche et je ne peux pas y parvenir. Je t’aime pourtant, je t’aime de toute la puissance de mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16332, f. 91-92
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « vouliez ».
b) « calembourg ».

Notes

[1Le soulignement signale la connotation coquine du terme qui, dans cette acception, n’est pas étranger à Hugo puisque le mot apparaît dans ses notes autour de 1828. La phrase est restée célèbre et a souvent été reprise par les humoristes machistes : « L’homme a reçu de la nature une clef avec laquelle il remonte sa femme toutes les vingt-quatre heures » (cité par Henri Guillemin, Hugo et la sexualité, Paris, Gallimard, 1954, p. 13).

[2Syntaxe et grammaire volontairement fautives.

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