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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 novembre [1837], dimanche matin, 11 h.

Encore mon petit Toto [illis.]. C’est donc une séparation de corps ? Il serait peut-être plus digne de ne pas m’en apercevoira, mais je tiens plus à mon bonheur qu’à ma dignité, c’est pourquoi je vous demande ce que ça veut dire. Vous travaillez je le crois mais vous vous reposez aussi quelque peu. C’est de ces temps de repos dont [1] je suis jalouse, et qui me paraissent n’être pas aussi innocents que je le voudrais. Ou vous ne m’aimez plus, ou vous me trahissez, ce qui est la même chose. Mais alors pourquoi ne pas le dire franchement ? Pourquoi me laisser deviner ce qui est ? Voilà qui n’est pas généreux de votre part. Savez-vous que voilà au moins huit jours que je vous attends inutilement ? Il n’y a pas de travail aussi long ni d’amour aussi patient. C’est ce qui me renferme de plus en plus dans la pensée que vous ne m’aimez plus du tout. Et puis si je me trompe, si par impossible vous êtes le plus innocent et le plus amoureux des hommes, prouvez-le moi tout de suite, non par des paroles qui ne sont que des femelles [2], mais par des faits qui sont de bons gros mâles. Je vous aime Toto, je vous aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16332, f. 43-44
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « appercevoir ».


12 novembre [1837], dimanche soir, 5 h. ½

Pendant que tu t’occupes d’une triste affaire, mon pauvre bien-aimé, moi je pense à toi avec amour. Je te plains de toute mon âme, c’est-à-dire que je t’aime plus car tout ce qui m’occupe de toi a le privilège d’étendre et d’augmenter mon amour. Au reste pour être plus à l’unisson avec toi je me suis occupée aussi de mon côté d’une chose encore plus douloureuse que la tienne. J’ai écrit à Mme Pierceau pour lui exprimer mon étonnement et mon chagrin de voir que depuis six semaines que l’enfant est rentrée à la pension elle n’ait pas senti le besoin de se faire pardonner par sa mère des torts assez graves [3]. J’ai aussi écrit à Mme Lanvin pour savoir ce qui se passe chez M. Pradier et quand il compte payer le trimestre, bien passé, de la pension. Je veux aussi qu’elle m’apporte tous les dessins de Claire depuis six semaines. En même temps elle emportera les brodequins car je suis bien décidée à ne pas voir cette malheureuse enfant tant que j’aurai à m’en plaindre aussi amèrement. Tu vois mon cher bien-aimé que si tu es triste je ne le suis pas moins, et qu’à mes chagrins déjà si grands se mêlent les tiens que je ressens encore plus vivement que les miens propres. Ce matin quand tu es venu je n’étais occupée que d’une seule pensée : le désir de te voir. Je n’avais qu’une seule tristesse : le regret de ne pas t’avoir eu pour finir ma nuit et commencer ma journée. Mais voilà que tu es venu avec ta belle figure toute chagrine et à l’instant même tous mes tourments et toutes mes inquiétudes de l’avenir se sont réveillés. J’ai peur que ton amour ou ta santé et peut-être tous les deux ne s’usent dans ces tracasseries dont je suis souvent le prétexte et dans ce travail pénible dont je suis la cause unique et opiniâtre. Et pourtant je t’aime, je t’aime, je voudrais mourir pour toi. C’est bien vrai mon Dieu.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16332, f. 45-46
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

Notes

[1L’usage fautif du pronom relatif (« dont » au lieu de « que ») est répandu, notamment à l’oral, chez des locuteurs de tous bords. Nous ne croyons donc pas devoir corriger la formule de Juliette.

[2À prendre ici au sens de « traîtresses ».

[3Allusion à Claire Pradier. La nature du différend entre la mère et la fille reste à élucider.

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