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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 5 novembre 1852, vendredi matin 8 h.

Bonjour mon loyal bien-aimé, bonjour mon vénéré adoré, bonjour. Je te demande pardon de t’avoir soupçonné hier, mais les apparences étaient contre toi. Et pour le peu de temps qu’a duré mon erreur, je t’assure que j’en ai bien souffert. Maintenant c’est fini, je suis tranquille, je suis heureuse, je te crois, je t’aime et je t’adore. Quand te verrai-je mon cher petit homme ? J’ai bien besoin d’un bon rabibochage à la journée creuse d’hier. Je ne demanderai pas mieux que ce fût aujourd’hui, à cause de l’admirable temps qu’il fait. Mais je sais trop que tu ne t’appartiens pas et puis il serait tout naturel que mamzelle Dédé voulut en profiter, elle aussi, avec son cher petit père et je suis prête à lui céder mon tour, à la condition que le mien viennea tout de suite après. Cher bien-aimé, je ne trouve pas les craintes de ton entourage aussi déraisonnables que tu le dis, et je ne trouve pas les raisons suffisantes pour rassurer tout à fait ceux qui t’aiment plus que leur vie contre les lâches guet-apensb de l’infâme Bonaparte [1]. La première précaution à prendre serait de ne jamais sortir seul le soir. Aussi, dès aujourd’hui j’organiserai un service pour pouvoir disposer de Suzanne qui m’accompagnera et qui reviendra avec moi quand je te conduirai. De cette façon, je ne me priverai pas du bonheur de te voir et je ne t’exposerai pas à la [sournoise  ?] scélératesse de cet odieux pantin impérial. Voilà, mon cher petit homme, ce que j’ai décidé dans ma sagesse de Juju et je suis sûre que tout le monde m’approuvera. Maintenant quand tes affaires t’appelleront à la ville le soir, il faut que ton Charles te serve de garde du corps, ce à quoi il se dévouera avec bonheur. De cette manière, M. Bonaparte aura un pied de nez ajouté à ses trente-trois centimètres naturels, et moi je serai tranquille, contente et heureuse, ce qui ne gâtera rien à la chose. Et puis je vous adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 135-136
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « viendra ».
b) « guet à pen ».

Notes

[1Le nombre des mouchards parmi les exilés est estimé à ¼ de la population. (Guy Rosa, Ce que c’est que l’exil, intervention au Groupe Hugo 20 octobre 2001). Dans son Journal Adèle dit de la proscription que c’est « un composé de mouchards et de héros ; c’est un excellent consommé dans lequel M. Bonaparte a fait ses ordures. » (t. III, p. 160).

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