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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 4 novembre 1852, jeudi matin, 8 h.

Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour mon bonheur, bonjour ma joie, bonjour mon amour. Je ne sais pas si vous êtes levé, mais dans tous les cas vous pouvez voir depuis votre lit le beau soleil qui poudroie et la belle mer qui verdoie [1]. C’est un spectacle dont on ne se lasse pas, couché, assis, debout, à la belle étoile, au soleil ou aux quatre vents. Quant à moi, si je m’écoutais, je ne ferais pas autre chose de la journée que de regarder monter et descendre cette grande mer si capricieuse et si variée dans sa monotonie. Ce n’est qu’à force de raison que je me résigne à lui tourner le dos et à m’occuper d’autre chose que de vous et d’elle. Vous pensez bien, mon cher petit homme, que je ne compte pas sur le moindre Gorey [2]. D’abord, parce qu’il faudrait que cela fût convenu la veille pour que je sois prête à temps. Sinon il serait illusoire de venir me chercher juste au moment de partir si je n’étais pas avertie d’avance car, quelle quea soit la simplicité d’accoutrement dans laquelle on peut se produire dans une ÎLE, il n’en faut pas moins que la décence du costume soit en DISPROPORTION avec l’impudeur [illis.] naturelle du pays. Ceci est de toute rigueur. Aussi, mon petit Toto, le jour où vous serez vraiment décidé à me faire cette surprise il faudra m’en prévenir la veille. D’abord, parce que ce sera une nuit de bonheur en perspective ajoutée à la journée réelle et ce n’est pas de trop pour une Juju aussi gouliaffe que votre humble servante.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 131-132
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « quelque ».


Jersey, 4 novembre 1852, jeudi midi ½

Vous me laissez-là sans le moindre remords, mon Toto, et sans vous souciez le moins du monde de ce que je deviendrai. Pourtant, d’ici à 3 h., il y a de la marge dont vous auriez pu me faire profiter si vous l’aviez voulu. Mais telle n’est pas votre volonté, qu’elle soit faite donc selon vos besoins et votre désir, ainsi soit-il. Au lieu de respirer le bon air et de m’épanouir au soleil, je vais rester chez moi très bêtement à regarder le feu fumer et à écrire aux divers Lanvin et Luthereau de ma connaissance. Divertissement peu agréable de quelque façon que je l’envisage. C’est au point que si je n’étais pas pressée par l’époque fixe, j’aurais ajourné encore une fois de plus cette corvée. Mais il n’y a pas moyen d’éluder plus longtemps ce suprême embêtement. Je crois que Fouyou en dit autant des caresses à rebrousse-poil du petit voisin. Mais je viens de convaincre le petit jersiais de la nécessité de s’en aller, ce à quoi il se prête médiocrement. Enfin le voilà parti. Hélas ! pourquoi n’ai-je pas dans un coin une bonne Juju occupée à chasser tous les ennuis de cette vie. Cela m’irait pourtant bien, car j’avoue que les caresses à rebrousse-poil de la providence me sont encore plus désagréables que celles qu’on fait à Fouyou. Tu vois, mon cher petit homme, par les détails oiseux que je te donne de ce qui se passe dans mon intérieur, que je suis dans ma veine de crétinisme. Il coule de source et pour comble de bonheur, c’est sur du grand papier. Tant mieux, plus il y en aura, plus tu seras débarbouillé avec ta propre faute. Car si au lieu de me laisser là pour aller à je ne sais quelle réunion, vous étiez venu me chercher pour courir les champs, j’aurais eu beaucoup d’esprit car j’aurais été très heureuse.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 133-134
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Citation de Sœur Anne dans la conte de Perrault Barbe-Bleue.

[2Gorey est l’une de leurs destinations de promenades favorites.

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