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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 27 août 1852, vendredi matin, 7 h.

Bonjour, mon tant doux adoré, bonjour mon pauvre petit souffrant, bonjour comment vas-tu ce matin ? En quelque état que tu trouves, il ne faut pas prendre de bain ce matin car il fait trop froid et trop humide. J’espère pourtant que tu vas mieux et que d’ici à ce soir tu seras totalement guéri. Quoique je sache que cette petite indisposition n’a aucune gravité, je suis impatiente de la voir finir, parce que je ne peux pas supporter la pensée d’une souffrance pour toi, quelque légère qu’elle soit. Du reste, mon petit bien-aimé, tu ne perds pas grand-chose à ce petit temps d’arrêt car les baigneuses sont rares par ce temps grognon. Il n’y a que les intrépides et pour celles-là, il faudrait de non moins intrépides curieux ; car, si elles sont rares, elles ne sont pas belles ni jeunes. Profite de cette éclipse momentanée de soleil et de LUNES pour reposer tes yeux et ton ventre quitte à les faire fonctionner avec activité une fois le beau temps revenu et la colique partie. Quant à moi, je vous donne de très bons conseils en attendant que je vous donne de fameuses piles [1]. Je voudrais être déjà à tantôt pour savoir comment tu vas. Il ne faut pas essayer de sortir ce matin car il fait vraiment trop froid. Je te fais toutes ces recommandations comme si tu pouvais m’entendre, mon pauvre doux adoré. Pourquoi pas si le magnétisme existe comme tu l’affirmes et comme je le crois ? Tu dois sentir, à distance, toute ma tendre et inquiète sollicitude qui te supplie de te ménager et de ne faire aucune imprudence qui troublerait ma tranquillité et me rendrait la plus malheureuse des femmes.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 249-250
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette


Jersey, 27 août 1852, vendredi matin, 10 h.

Comment t’arranges-tu de ce temps de demoiselle sans soleil et sans vent, mon pauvre petit souffrant ? Qu’est-ce que vous comptez faire aujourd’hui ? Irez-vous à Gorey [2] ? Ferez-vous quelque petite promenade dans l’intérieur de Jersey ? La présence du jeune ménage Paul Meurice rend ces petites excursions presque obligatoires, leur séjour dans l’île étant plus ou moins limité. Tâche de ne pas trop te fatiguer et de n’avoir pas froid. Cela est important pour ton mal d’entrailles. Tâche aussi de venir me voir un tout petit moment pour me tranquilliser. Une fois que je ne serai plus tourmentée sur ta chère petite santé, je supporterai plus courageusement ton absence. En attendant que tu aies de la copie à me donner, je voudrais pouvoir faire mes chemises de flanelle. Celle que tu as vue hier est une des meilleures. Tu dois comprendre l’urgence de m’y mettre le plus tôt possible. Pour cela, mon pauvre bien-aimé, il faudra que tu me donnes un peu d’argent. J’avais espéré pouvoir attendre jusqu’au printemps mais, malgré tous mes soins, toutes mes peines et toutes mes reprises, il m’est impossible d’ajourner cette dépense plus longtemps. Demain j’irai à Saint-Hélier faire mettre un verre à ma montre. Si tu y consens j’achèterai de la flanelle de quoi faire 3 chemises à manches longues et trois chemises à manches courtes. Je t’assure qu’il faudra que je me dépêche beaucoup pour arriver à les faire à temps à l’échéance définitive des autres. Cependant, je ne ferai rien sans ta permission. En attendant mon petit homme, je te souris et je t’aime avec et sans chemise à l’instar des barbotteuses de l’île de Jersey en général et de la grève d’Azette [3] en particulier.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 251-252
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Pile : Volée de coups, raclée.

[2Gorey : charmant petit port situé sur la côte est de l’île de Jersey dominé par la forteresse de Montorgeuil.

[3Grève d’Azette : « Marine-Terrace s’ouvrait sur la grève d’Azette, longue plage de sable qui laisse apparaître à marée basse d’innombrables rochers. » Gérard Pouchain, op. cit., p. 57 ; « vaut Trouville selon L’Archipel de la Manche », J. M. Hovasse, op. cit., p. 97

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