Bruxelles, 17 mai 1852, lundi matin, 7 h. ½
Bonjour, mon bon petit homme, bonjour, mon Victor adoré, bonjour tu as été bien bon et bien charmant hier en consentant à faire cette petite promenade collective. Pour ma part je n’y serai pas allée sans toi, aussi je te suis bien reconnaissante de m’avoir donné cette joie. Mais rien ne vaut nos doux tête-à-tête où tu règles ton pas sur le mien, où ton génie descend jusqu’à mon humble intelligence, où je t’écoute avec toute mon âme, où je te regarde avec ravissement, où je vis de ta vie sans la partager avec personne. Depuis le premier jour où je t’ai vu, depuis le premier jour où je t’ai aimé tout ce qui n’est pas toi m’est devenu indifférent ou insupportable. Mon Victor, je t’aime de toutes mes forces. Je pense que tu es déjà réveillé puisque le bruit de cette place te réveille tous les jours avec l’aurore, aussi je t’envoie force baisers sans scrupule [illis.] je ne crains pas de troubler ton repos. À propos de repos, mon cher petit homme, je regrette de t’avoir entretenu de la stupide algarade d’hier mais d’un autre côté je dois te tenir au courant des allures de cette fille pour que tu ne sois pas surpris le jour où elle me forcera de lui donner son compte. Cela ne m’a pas empêchée de la sermonnere hier au soir dans le sens et presque textuellement comme tu me l’avais dit. J’ignore si elle s’amendera. J’en doute, mais je te promets de faire tout mon possible pour l’obliger à attendre une époque moins critique pour nous pour le remboursement de ton argent. Ce ne sera pas facile, mais j’y mettrai toute ma patience et tout mon courage car, avant toute chose, je ne veux pas te causer le moindre ennui ou le moindre embarras.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16371, f. 39-40
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette
a) « sermoner ».
Bruxelles, 17 mai 1852, lundi après-midi, 1 h. ½
Tu travailles toujours, mon petit homme, et tu es toujours visité par le tiers et le quart des deux sexes des quatre parties du monde, ce qui te laisse bien peu de temps à donner à ta pauvre Juju [1]. Mais ce n’est pas après la promenade d’hier que j’ai le droit de me plaindre, aussi je ne me plains pas ; je t’aime, je te désire et je t’attends. Il paraît que l’on n’a pas encore retrouvé ta petite clef. Il est probable qu’on ne la retrouvera pas, d’abord parce que tu ne sais pas où tu l’as perdue et qu’ensuite la fidélité des tabatières [2] ne m’est rien moins que prouvée. J’en demande pardon à vos illusions mais telle est mon opinion MOTIVÉE. Taisez-vous et méfiez-vous de vos tabatières Je me suis mise en quête pour changer le billet de mille sans rien payer, mais jusqu’à présent je n’y ai pas réussi. Le coiffeur doit me rendre réponse demain après quoi nous serons bien forcés s’il n’en n’a pas la monnaie de la faire changer chez le changeur. J’ai reçu une lettre de la mère Lanvin m’accusant réception du bon et de l’usage qu’elle a fait de l’argent. Il paraît que son mari a vu diminuer ses ressources de [25 F. ?] par mois par la crevaison du journal Le Public qu’il cumulait avec celui de L’Assemblée. Leur fils est très malade de la poitrine de sorte que ces pauvres gens sont dans le chagrin jusqu’au cou. Cela ne les empêche pas d’écrire toutes sortes de respectueuses admirations et d’humble reconnaissance pour toi, mon grand bien-aimé, et pour la lettre que tu as daigné écrire à Lanvin. Je regrette de ne pouvoir plus les recommander à ce bon Montferrier puisque lui-même est à la côte [3] et ne sait comment se tirer d’embarras. Mais mon Victor, je [illis.] de tout cela et j’ai le cœur plein de toi et je t’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16371, f. 40-41
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette