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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Bruxelles, 8 février 1852, dimanche matin, 8 h.

Bonjour mon Victor, bonjour, je te souris, je t’aime, je suis heureuse. Oui, mon pauvre adoré, je suis heureuse parce que je crois que tu m’aimes, parce que je suis sûre que malgré ton absence hier tu as pensé à moi, que tu m’as plaint et que tu m’as regrettée. Merci, mon Victor, merci avec toute la reconnaissance de mon âme, avec tout l’amour de mon cœur, merci.
J’espère que la fatigue et l’insomnie de ces trois dernières nuits t’auront donné enfin un bon sommeil aujourd’hui. Je crains seulement que ta très matinale amoureuse ne survienne au beau milieu de ton plus épais pionçage et ne le tronque malencontreusement. J’avais envie d’aller garder ta porte mais je sais que tu ne te prêtes pas à cet excès de sollicitude pour ta personne et que tu aimes mieux être réveillé par une boiteuse de trente ans qu’endormi par une pauvre vieille Juju comme moi. Je le sais et je m’y résigne à la condition de le savoir au fur et à mesure que cela se présentera. En attendant je vais faire ton chocolat et ta tisanea. Mardi j’en aurai de meilleur je l’espère. Si même je sortais aujourd’hui, ce que je ne crois pas à cause du temps, j’en achèterais tout de suite.
M. Yvan et M. Reybaud que j’ai vus hier tous les deux dînent ce soir ici. Je ne te demande pas de te joindre à eux parce que je sais que cela ne se peut pas à cause de Charles, mais je serais bien triste si tu ne faisais pas tous tes efforts pour me donner une partie de ta soirée. Songe donc je t’ai si peu vu hier et j’ai tant de courage et je suis si malheureuse au fond quand je ne te vois pas tout ce que je peux raisonnablement espérer te voir, qu’il serait bien cruel de me priver encore de toi ce soir sous je ne sais quel prétexte de duègnage [1] impossible. Penses-y mon Victor adoré et accorde moi ce que je te demande.

Juliette

BnF, MSS, NAF 16370, f. 71-72
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « tisanne ».


Bruxelles, 8 février 1852, dimanche après-midi, 4 h.

Si je ne dois pas te revoir ce soir, mon Victor, accorde-moi la permission de trouver la part de mon bonheur aujourd’hui assez petite pour n’en pas être précisément tout à fait heureuse. Mais j’espère que tu ne m’auras fait la joie si courte ce matin que pour me la rendre bien plus grande ce soir. En attendant la surveillance de Charles menace de devenir pour moi plus ennuyeuse que son carabinier qui n’était pourtant pas amusant comme tu sais. Ce qui n’empêche pas ce jeune libéré d’être un fils mal gardé si j’en juge d’après les heures où il rentre et les passes d’armes auxquelles il se livre jusqu’à tomber en pâmoison. Tout cela ne serait que drôle si ce n’était pas un prétexte d’absence et d’éloignement pendant lesquels je dépense en courage, en patience et en résignation dix millions de fois plus que je n’ai reçu en bonheur. Ce qui fait que jamais la balance entre ton doit et mon avoir n’esta en équilibre et qu’il y a tant de mécomptes dans ma vie. Mais qu’y faire ? En vérité je ne le sais pas. Je laisse à d’autres plus habiles que moi résoudre ce problème. Je signale le déficit sans espoir de le combler jamais. En attendant, mon Victor, je te supplie de ne me rien cacher des choses que tu sais. Il me semble que tu n’es pas resté tout ce temps-ci sans recevoir des lettres de Paris et je suis sûre, de cette intuition que rien ne peut tromper, que la folle de lettres qui t’a écrit il y a huit jours a dû te récrire de nouveau et venir te voir. Ne dis pas non, mon pauvre Victor, car chacune de tes dénégations redoubleb mon inquiétude sans me convaincre. Ta franchise me rassure et me calme tu l’as éprouvé bien des fois. Je t’en supplie mon Victor ne me force pas à recourir à des moyens indignes de toi et de moi pour savoir la vraie vérité. Épargne-moi cette honteuse et odieuse maladie, la jalousie que je redoute mille fois plus que la mort. Je t’en prie ô je t’en supplie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 73-74
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « ne sont ».
b) « redoublent ».

Notes

[1Néologisme forgé sur « duègne » ?

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