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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Bruxelles, 5 février 1852, jeudi matin 8 h.

Bonjour mon bien-aimé, bonjour avec toutes les tendresses de mon cœur et de mon âme, bonjour. J’espère que malgré ton mauvais lit tu auras passé une meilleure nuit que la mienne, mon pauvre bien-aimé. Ce n’est pas le sommeil qui m’a manqué mais quel sommeil ! On ne doit pas souffrir autant pour mourir mais c’est bien assez d’y avoir été en proie sans se le rappeler encore les yeux ouverts. Je ne veux parler qu’à toi mon ravissant bien-aimé, je te sais heureux et je veux être heureuse et comment ne le serai-je pas, mon sublime martyr, quand je compare notre position à celle que nous avions il y a deux mois. Il faudrait que je fusse bien stupide et bien ingrate pour ne pas en remercier Dieu à tous les instants de ma vie et pour ne pas te sourire toujours avec toutes les joies de mon âme. Je sais bien que mon bonheur aurait pu être plus complet si ces [caillettes  ?] avaient su se taire. Mais je nous rends la justice que ce n’est ni ta faute ni la mienne si nous sommes en proie aux cancans de ces grosses péronnelles qui n’ont même pas la conscience du mal qu’elles nous font et je tâche de me résigner avec courage aux tristes conséquences de tous ces bavardages. Ce n’est pas sans efforts et sans regrets, tu t’en doutes un peu n’est-ce pas ? Suzanne est allée chez toi avec les quelques petits morceaux de charbon qu’elle a pu encore trouver. Je pense que M. Luthereau en fera venir demain car sans cela nous serions tout à fait à court. D’un autre côté il serait fort ennuyeux d’acheter du charbon si nous devions nous en aller d’ici à quelques jours. C’est très embarrassant mon cher petit homme. Je vous raconte mes tribulations de ménage comme si cela pouvait vous intéresser tandis que j’ai bien autre chose sur le cœur que le souci de quelques seauxa de houille. Je vous aime voilà le fond et le tréfondsb de toutes mes pensées, de toutes mes actions, de toutes mes paroles et de toute ma vie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 59-60
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « sceaux ».
b) « tréfond ».


Bruxelles, 5 février 1852, jeudi après-midi, 3 h.

Il est impossible mon cher petit homme que tu gardes ce lit davantage puisqu’il te dégoûte au point de ne pas pouvoir y dormir. Il faut absolument exiger de ces femmes qu’elles te changent tes matelas peut-être même n’est-ce que l’oreiller qui sent mauvais ce qui m’est arrivé à moi-même ici. J’ai dû renoncer à me servir des oreillers de ces dames à cause de la fétidité de la plume mal préparée. Mon Victor, ce serait plus que de la duperie que de t’imposer le supplice de ne pas dormir dans cette infection pour ne pas désobliger ces beaucoup trop obligeantes tabatières. J’insiste beaucoup là-dessus parce que je n’ai pas besoin que tu tombes malade par excès de complaisance pour ces trois grâces de la régie. Ainsi tu entends je veux que tu exiges un autre lit.
Quel temps, mon pauvre petit homme. Il est vrai que tu as en toi-même des soleils qui valent tous ceux du bon Dieu, mais pour les pauvres Juju comme moi c’est un temps à mourir debout. Autrefois, quand tu étais avec moi, je ne m’en apercevais pas parce que tu étais là et que j’étais heureuse ; mais à présent il semble que toute cette pluie sort de mes yeux et que le ciel soit fait d’un morceau de mon âme tant je suis triste et assombrie. Non, mon Victor, ne crois pas cela, je ne suis pas triste puisque tu m’aimes, je ne suis pas malheureuse puisque tu es heureux, en liberté et bien portant. J’ai le cœur plein d’une ineffable reconnaissance et je te sourirai dès que je te verrai. En attendant je prends courage et patience et je t’aime avec sécurité comme un honnête adoré que tu es. Tâche de venir un peu avant ton dîner si tu peux et surtout sois bien tranquille sur moi. Je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 61-62
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

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