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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 18 septembre 1852, samedi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour à la pointe de mon bec de cuivre, bonjour, je me fiche de vous et de vos becs d’oie, de vos lorgnettes et de vos Lorettes…anglaises, surtout aujourd’hui où il fait un temps à mettre le prince président [1] à la porte. Bonjour, dormez sur vos deux oreilles en attendant le retour de la marée et des marsouins qui en sont le plus bel ornement.
Eh bien ! as-tu enfin entendu parler du prétendu événement d’avant hier ? Il serait bon que tout cela ne fût qu’un affreux canard. Je le désire au risque de vous voir exploiter ma mystification sans la moindre vergogne. En somme, mieux vaut un canard en liberté qu’un honnête homme en prison. Cependant mon marin avait l’air bien informé et ce n’est point un loustic. Enfin il faut espérer que nous saurons tous à quoi nous en tenir aujourd’hui. D’ici là, mon petit Toto, ne vous exposez pas au rhume et rhumatismes qui foisonnent dans ce gracieux pays. Mes rideaux sont à tordre ce matin et ceux de mon lit à peu près. Il n’est pas jusqu’au sable que je mets sur le papier qui ne soit mouillé comme s’il sortait du flot. Tout cela nous enseigne qu’il faut nous tenir clos et couvert le plus possible et avoir les pieds chauds. Profitez de mes renseignements en restant dans votre dodo jusqu’à l’heure du soleil et du déjeuner. Pensez un peu à moi et aimez-moi. Je vous l’ordonne comme hygiène.

Juliette.

BnF, Mss, NAF 16371, f. 337-338
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette


Jersey, 18 septembre 1852, samedi matin, 9 h.

Ah ! Enfin le soleil ! Bonjour soleil, bonjour Toto, bonjour la joie, bonjour l’amour, bonjour l’espérance, bonjour le bonheur. La mer est d’un vert admirable dans ce moment-ci. C’est le moment de la haute marée, c’est complètementa beau. Où es-tu mon petit homme ? Sur ta terrasse, sans doute, et j’espère bientôt ici. En attendant, je vais déjeuner et je finirai mon gribouillis tantôt.

10 h.

Hélas ! je m’étais réjouie trop tôt, voilà la pluie et le vent qui font rager à qui mieux mieux. Maintenant Dieu sait quand le beau temps ? Quant à toi, mon pauvre doux adoré, je te défends de sortir dans cet ouragan. Mais comme cet état de chose doit se constituer en permanence pour très longtemps, tu feras bien d’avoir un de ces manteaux imperméables à manches et de bons souliers à doubles semelles de liège. Une fois équipé de la sorte je ne craindrai plus de te désirer et je n’aurai pas de remords quand tu viendras. Seulement il ne faut pas attendre que la mauvaise saison soit passée pour te mettre en mesure selon ta chienne d’habitude. Moi-même j’aurais besoin d’une bonne enveloppe bien ample et bien chaude et ne craignant pas les averses. Si tu veux me laisser ma subvention semestrielle nette de tout retranchement, je tâcherai de ma la donner. Sinon, NON. Et je n’en serai pas moins contente pour cela car je suis convaincue, plus que toi-même, de la nécessité impérieuse d’économiser le plus possible. Il n’y a que l’amour qu’on n’économise pas car plus on en donne, plus il en reste. C’est du moins le phénomène qui se passe dans mon propre cœur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 339-340
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « complettement ».

Notes

[1Louis-Napoléon Bonaparte.

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