Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1852 > Décembre > 7

Jersey, 7 décembre , mardi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon plus que bien-aimé, bonjour mon grand adoré, bonjour ma vie et mon bonheur, bonjour. Il y a un an à cette heure-ci j’allais te chercher dans ta retraite pour te conduire chez ces braves Montferrier [1]. Dans mon anxiété impatiente j’étais sortie de chez eux longtemps avant le jour et j’errais dans les rues autour de toi avant d’oser entrer sans être mille fois sûre que je n’étais ni suivie ni observée. Je me souviens de l’inquiétude que m’avaienta donnéeb deux sergents de ville que j’avais rencontrés dans le passage Choiseul et que j’ai suivisc de loin par les rues et les boulevards jusqu’au panorama [2]. La saison, la date et cette nouvelle persécution qui essaie de t’atteindre jusqu’ici me font retrouver tous ces tendres et douloureux souvenirs, qui à ce moment étaientd la joie et la terreur de ma vie, aussi présents aussi vivants que s’ils étaient d’hier. Pauvre grand adoré, quand je pense à la scélératesse et à la férocité du misérable qui te hait d’autant plus que tu es la personnification de toutes les mâles et généreuses et sublimes vertus humaines, je ne suis pas parfaitement tranquille, surtout te sachant presque à la portée d’un guet-apense qui doit tenter tous les jours et à toutes les heures sa rancune infâme et vaniteuse. Aussi je verrais avec une sorte de joie notre éloignement de la France si cela peut t’éloigner du danger imminent d’un infâme guet-apens qui estf dans les habitudes de ce misérable et que la publication prochaine de ton livre [3] doit surexciter encore davantage. Mais en attendant, mon cher petit bien-aimé, je te supplie d’être très prudent et de ne pas sortir seul le soir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 237-238
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « avait ».
b) « donné ».
c) « suivi ».
d) « était ».
e) « guet-à-pens ».
f) « sont ».


Jersey, 7 décembre 1852, mardi après-midi, 1 h.

Quel temps, mon pauvre petit bien-aimé. Je n’ose presque pas te désirer dans la crainte d’avoir à me reprocher quelque indisposition grave dans ta santé. Aussi, mon cher adoré, si tu ne peux pas sortir sans risquer de te mouiller les pieds et sans aggravera ton rhume je te supplie de ne pas le faire. Je tâcherai de trouver mon bonheur dans le sacrifice que je fais à ta santé. En attendant j’ai écrit aux bons Montferrier ce matin et j’ai pris pour cela l’heure à laquelle tu avais passé leur seuil hospitalier il y a un an. Cette lettre je l’ai écrite en ton nom et au mien tout en leur faisant comprendre pourquoi tu ne leur écrivais pas personnellement. Pauvres gens, il est triste de penser qu’ils sont malheureux et que nous ne pouvons rien pour eux dans ce moment. J’espère pourtant que nous trouverons un jour l’occasion de leur rendre dévouement pour dévouement. Dieu veuille que ce soit bientôt car je crois qu’ils n’ont pas beaucoup le temps de l’attendre, sinonb par l’âge, mais par les besoins sans cesse renaissants que leur prodigue bonté et leur généreuse imprévoyance rendent de jour en jour plus impérieux.
Mon Victor adoré, mon bien-aimé béni, ne sors pas si cela peut augmenter ton rhume. Je te promets de ne pas me tourmenter par ton absence prolongée et d’être bien courageuse et bien raisonnable.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 239-240
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « agraver ».
b) « si non ».

Notes

[1Hugo s’était depuis quelques jours réfugié rue Richelieu.

[2Passage des panoramas situé près des grands boulevards et encore conservé de nos jours.

[3Châtiments.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne