19 juin 1881

Paris, 19 juin 1881, dimanche matin

Cher bien-aimé, le cauchemar^a dure encore ; finira-t-il jamais ? Ce douloureux point d’interrogation me revient malgré moi à chaque nouveau coup qui m’est lâchement porté en me demandant quand finira cette expiation des fautes que tu as commises puisqu’en échange de l’argent que tu as envoyé hier, on m’écrit une lettre d’insultes et de bas outrages ? [1] Il serait injuste de récriminer et de t’en rendre responsable aujourd’hui ; aussi, loin de me plaindre je te souris et je t’aime. Sois béni, sois béni, sois béni !!!^b
Le bon Lesclide est arrivé et a déjà repris sa fonction d’éplucheur de lettres et de manuscrits et Dieu sait ce qu’il y en a d’amassés^c depuis trois semaines que le tas s’est accru minute à minute.
M^me Lockroy et les enfants vont passer la journée à la campagne, ce qui nous permet, hélas ! de déjeuner ici sous l’œil du public. Mais puisque cela te plaît, tout est bien et j’en suis très contente et je veux être geaie en dépit des larmes qui coulent malgré moi et des poignantes étreintes nerveuses qui me serrent le cœur.
Cher adoré, je te répète mon amour sans me décourager, dussé-je^d mourir de trop t’aimer. Je t’adore.

[Adresse]
Monsieur Victor Hugo

BnF, Mss, NAF 16402, f. 134
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette

a) « cauchemard ».
b) Les trois points courent jusqu’au bout de la ligne.
c) « amassé ».
d) « dussai-je ».