Paris, 6 mai 1881, mercredi, midi ½
Encore une quasi bonne nuit pour toi, mon doux adoré, ce qui me donne l’espoir d’une meilleure encore la nuit prochaine. Pas de Sénat aujourd’hui, mercredi, c’est-à-dire aucune obligation pour toi d’y aller au risque de compromettre le mieux sensible qui se faita sentir depuis deux jours dans ta grippe.
Le temps d’aujourd’hui, bien que très beau en apparence, est très froid et le vent très violent, ce qui est particulièrement mauvais pour la tête et pour les bronches. Il faut l’éviter et rester coi auprès d’un bon feu et de ta pauvre vieille Juju qui t’adore.
Ce soir nous aurons les Allix, comme à l’ordinaire, et pour peu que tu tiennes à me faire plaisir tu te laisseras ausculter par lui pour savoir où tu en es de ton rhume. Cette déférence à ma sollicitude exigeante, je te supplie de me l’accorder au moins cette fois-ci. En attendant, mon bien-aimé, je t’en suis d’avance bien reconnaissante.
Mme Dorian t’écrit un petit mot que je vais te porter tout à l’heure pour te prier de concourir à l’œuvre de l’orphelinat qu’elle patronne. Il me paraît difficile que tu t’en abstiennesc. Mais toi seul est juge de ce qu’il convient que tu fasses et je n’insiste pas.
Je viens de recevoir une lettre de Deschanelb [1] qui est venu avec sa femme se cogner le nez à notre porte l’autre soir après six heures. Il me demande s’il peut te demander pour lui et Mme Deschanelb à dîner samedi prochain. Je n’y vois pas d’empêchement, au contraire, si, comme je le crois, tu n’en as aucun de ton côté. Le pauvre diable est resté deux mois entier cloué sur son lit et perdait sa réélection de député pendant ce temps-là. Heureusement pour lui qu’il a retrouvé sa chaire au Collège de France, ce qui fait compensation [2]. Enfin, mon grand petit homme, je te souris à travers tout ce verbiage et je te supplie de ne pas faire d’imprudence tout le temps que ta chienne de grippe montrerac ses vieux crocs. Je vais te porter mon gribouillis et descendre déjeuner.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16402, f. 96-97
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette
a) « fais ».
b) « Déchanel ».
c) « abstienne ».
d) « montreras ».