12 novembre [1841], vendredi, midi ¼
Bonjour mon Toto chéri, bonjour mon amour. Comment vas-tu de ce hideux temps-là ? Moi je ne vais pas, j’ai le sang tellement à la tête que j’ai toutes les peines du monde à me réveiller. Cela ne m’a pas empêchéea de voir que vous ne venez pas vous réchauffer auprès de moi et que vous ne m’avez rien mis dans mon dossier qui deviendra un vrai dos [dessinb d’une scie] É. Je ne sais pas si vous distinguez parfaitement la dernière syllabe du rébus mais pour plus de sûreté je vous l’explique en toutes lettresc : c’est une SCIE, d’autant plus scie que je m’imaginais toujours, quand je vous vois gribouiller du papier jusqu’à trois heures du matin, que j’allais avoir deux ou trois bonnes grosses pages bien dodues remplies de ces admirables choses que vous dites si bien. Aussi, après avoir ouvert ma GEULE toute grande et fermé mes yeux pour mieux jouir de cette bonne surprise, je suis hideusement attrapéed lorsqu’il se trouve que je ne trouve rien. Alors, j’ai le droit d’être horriblement vexée et j’en use, une autre fois je ne vous laisserai pas en aller sans avoir ma pitance. Ça fait comme ça, je ne serai pas exposée à d’affreux désappointements comme tous ces jours passés. Baisez-moi, monstre, et dites-moi si c’est la pluie qui vous a empêché de venir ce matin vous coucher auprès de moi ?
Dites donc, je n’ai plus qu’un mois et 18 jours [1]. Ça vient, ou plutôt elle vient, lentement il est vrai MAIS ENFIN ELLE VIENT [2]. Baise-moi, toi, et ne reste pas si longtemps à l’Académie si tu ne veux pas que je me fâche ou que j’aille me promener pendant ce temps-là [3]. Je te donnerai le plaisir de me voir passer sur le quai, AUTANT MOI qu’une AUTEe, ia ia pôlisson. Voilà ce qui vous retient à ces stupides séances, l’attrait des jambes de grisettes que vous voyez passer du fond de vos fauteuils plus ou moins PERCÉS. Que je vous y attrape et puis vous verrez.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16347, f. 109-110
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « empêché ».
b) Dessin d’une scie :
- © Bibliothèque Nationale de France
c) « toute lettre ».
d) « attrappé ».
e) L’omission du R est-elle volontaire ?
12 novembre [1841], vendredi soir, 5 h. ¼
Quel affreux temps, mon pauvre petit homme, je crains que ce soit lui qui t’empêche de venir. Il serait urgent d’acheter au moins un parapluie pour toi, quoique Suzanne en réclame aussi un à grands cris de son côté, mais au moins si tu avais un parapluie tu pourrais venir plus à ton aise et peut-être plus souvent. J’ai fait acheter aujourd’hui pour 3 F. de gros bois, outre les falourdes [4] que j’ai encore mais dont les bûches sont trop petites pour tenir le fer. En outre, j’ai payé Lafabrègue, j’ai donné l’argent à Suzanne pour les provisions de demain. Bref, je n’ai plus d’argent et plus d’huile à brûler, voilà où j’en suis. Tout cela, joint à cet exécrable temps et à ton absence, ne me donne pas très envie de rire, tant s’en faut qu’au contraire. Enfin, le proverbe dit après la pluie le beau temps, et moi je voudrais bien dire un jour, après l’absence et la tristesse la joie et le bonheur avec mon beau Toto. Tout vient à point à qui sait attendre, dit encore un autre proverbe. J’attends tant bien que mal, nous verrons si ce que je désire viendra à point. Pour cela, il faudrait que vous arrivassiez tout de suite.
M’aimes-tu, mon Toto ? Moi, je t’aime de toute mon âme et je n’ai de joie qu’en toi. Tâche de venir mais cependant ne te fais pas mouiller, et à ce propos je me souviens que tes bottes ont besoin d’un bon radoubage. Tu ferais bien de venir mettre les neuves et je verrais à te les faire raccommoder par le Dabat. Je baise tes pauvres petits pieds [frileux ?] et je les réchauffea avec mes lèvres.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16347, f. 111-112
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « réchauffes ».