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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 novembre [1841], lundi soir, 11 h.

Croirais-tu, mon pauvre bien-aimé, que Madame Guérard, après bien des simagrées, a fini par dîner avec moi à l’infortune du pot, bien entendu ? Seulement elle est cause que je ne t’ai pas écrit plus tôta et que je n’ai pas copié, mais sois tranquille, mon amour, je vais joliment me dépêcher et rattraper le temps perdu. Cette pauvre femme est toujours bien huberlueb mais elle est bonne, et puis je la force à entendre toutes mes divagations à votre endroit et c’est tout ce qu’il me faut.
À propos de ce qu’il me faut, je vous dirai chemin faisant que, puisque vous trouvez ma coiffure d’aujourd’hui à votre goût, je la ferai tous les jours parce que, pourvu que je vous plaise, c’est tout ce qu’il me faut [1]. Je le ferai même 11 fois par jour si cela peut contribuer à vous faire revenir une fois de plus, ce dont je doute très fort entre nous soit dit car, une fois que vous êtes dehors, vous tâchez d’oublier le plus longtemps possible l’heure de rentrer chez moi. Taisez-vous et allez à l’Académie, ça vaudra bien mieux que de faire le gentil dans les rues à toutes les filles………c de boutiques et autres et que vous vous fassiezd pincer votre bourse comme un jobard que vous ÊTES. [Dessine]. Et vous mettez cela sur le compte des voleurs quand ce sont tout bonnement LES VOLEUSES qui, pendant que vous leur disiez « SOURIS-MOI », vous faisaientf voir le tourniquet que vous êtes. Taisez-vous, monstre, vous êtes un vieux paillard, non de Villeneuve [2], et vous ne mourrez que de ma main. Je surveillerai aussi de près Madame Parent avec laquelle je ne serai pas cousine si vous continuez à la chabader de théâtre en théâtre comme vous l’avez fait jusqu’à présent. Vous savez si je plaisante, ainsi tenez-vous pour averti et ne soyez pas surpris le jour où une grêle de giffes et de griffes crèverag sur votre joli nez : – souris-moi, Juju, souris-moi. Gredin, tu verras comment je souris quand je m’y mets et je te montrerai les dents jusqu’au fin fond du gosier pour te faire rire un peu.
En attendant, je n’ai plus qu’un mois et 21 jours [3]. Du reste, je mets loyalement et généreusement ma malle à votre disposition et je ne vous demande rien pour l’avoir fait nettoyerh [4]. Voilà comme je suis grandiose, moi, mauvais petit gueux. Baisez-moi, scélérat, et taisez-vous.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 99-100
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « plutôt ».
b) « uberlue ».
c) Il y a neuf ou dix points de suspension.
d) « faites ».
e) Dessin de Hugo souriant en habit et chapeau d’académicien :

© Bibliothèque Nationale de France


f) « faisait ».
g) « crèveront ».
h) « nétoyer ».

Notes

[1Réplique de Rodolfo à Catarina dans Angelo, tyran de Padoue, 3e journée, première partie, scène VI.

[2Jeu de mots de Juliette à partir du nom de Adolphe-Victor Paillard de Villeneuve (1802-1874), avocat des hommes de lettres comme Alphonse Karr et Victor Hugo justement, qu’il vient tout juste de défendre avec succès dans son procès concernant les droits d’auteurs de Lucrèce Borgia contre Donizetti.

[3Juliette parle d’une petite boîte à tiroirs qu’elle réclame depuis le début de l’année, et que Hugo a promis de lui offrir pour le nouvel an. Cela fait quelque temps qu’elle fait ainsi le décompte des jours qui la séparent encore de ce cadeau tant attendu qu’elle recevra finalement en avance le 19 novembre.

[4S’agit-il de l’« affreuse malle vermoulue » que Juliette a transformée en « un charmant petit coffret en tapisserie » et qu’elle a donnée à Hugo début septembre ?

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