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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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27 octobre [1841], mercredi matin, 10 h. ½

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon Toto chéri. Comment vas-tu, mon petit homme ? Pourquoi n’êtes-vous pas venu, mon cher bien-aimé ? Vous me promettez toujours plus de nuits d’amour que de pain et vous ne me tenez pas beaucoup ni souvent parole. Vous êtes un monstre. D’ailleurs, vous ne me donnez pas même le temps de vous embrasser quand vous vous en allez dans la nuit après que je me suis tenue bien muette et bien sage à côté de vous pour ne pas troubler votre travail. Vous êtes un monstre, vous êtes un MON.
Mon cher petit bien-aimé, je vous aime, mon Toto, je t’aime de toute mon âme. J’espère que si tu sors, tu viendras tout de suite à la maison pour mettre ton habit ? Et alors je vous embrasserai, mais je vous embrasserai à mort. Vous êtes bien bon, mon cher petit bien-aimé, de me laisser faire faire la belle bague où sont vos armoiries. Je sens bien cela, mon pauvre adoré, et j’en suis touchée jusqu’au fond de l’âme. Tu es un pauvre bien-aimé inépuisable de bonté et de générosité et je t’adore, mais va, mon Toto chéri, je vais bien économiser dans mon petit intérieur afin que cette dépense superflue ne soit pas toute supportée par toi. Avec quelle joie je te donne la bague qui porte mon nom, avec quel bonheur je te donnerais ma vie si elle pouvait te servir à quelque chose [1]. Je t’aime, mon amour, je t’aime.
N’oubliea pas, mon adoré, que j’ai demain les tapissiers et que si tu as la bonne intention de revenir la nuit prochaine (qui sera cette nuit quand tu liras ceci), il faut venir plus tôtb afin que nous puissions nous lever de bonne heure pour tout préparer. Mais surtout que cela ne vous empêche pas de venir vous reposer auprès de votre pauvre Juju qui a faim et soif de vous.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 61-62
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « N’oublies ».
b) « plutôt ».


27 octobre [1841], mercredi soir, 8 h. ¼

Avant de me mettre à copier [2], mon adoré, il faut bien que je vous dise que je vous aime puisque vous ne m’en donnez pas le temps quand vous êtes auprès de moi. Je vous aime, c’est bien bien vrai et du fond de mon âme, mon cher petit bien-aimé. Je le sais à tous les instants de ma vie parce que c’est la sainte vérité. Je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime.
Je vais copier tout à l’heure, mon bon petit homme, et je vous promets d’écrire les noms bien lisiblement. Ce ne sera pas ma faute si je ne réussis pas, ce sera peut-être la vôtre. Taisez-vous, vieux gribouilleur, on dirait que votre plume est la griffe d’un chat. Aussi je vous conseille de faire le difficile, en vérité, cela vous va très bien, je m’en fiche. Voleur de mouchoir, filou, saligauda, cochon, académicien, voilà tousb vos titres à la postérité. Allez-vous en avec ce bagage-là au temple de MÉMOIRE. Distinguez-vous mais ne m’oubliez pas.
Tâchez de revenir bien vite si vous ne voulez pas que je vous arrache vos cheveux NOIRS plus que vous ne voudrez [3]. Ia ia monsire matame, c’est que je le ferais comme je le dis. En attendant, baisez-moi dans toute l’acception du mot. Je ne demande pas mieux, au contraire.

BnF, Mss, NAF 16347, f. 63-64
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « saligot ».
b) « tout ».

Notes

[1Voir les lettres du 22 et 24 octobre.

[2Hugo est en train de terminer la Conclusion du Rhin. Le jour-même, il l’écrit d’ailleurs à Rampin : « Soyez assez bon, monsieur, pour dire à vos co-intéressés que je pousse la loyauté jusqu’à m’imposer en ce moment un travail qui m’occupe presque nuit et jour, travail gratuit, stérile pour mes intérêts, pour lequel j’ai fait venir à mes frais des documents d’Allemagne curieux et coûteux. Le complément de ces documents ne m’est arrivé que la semaine passée ; ce qui vous explique un retard préjudiciable avant tout pour moi, puisque je ne puis rien faire avant d’avoir terminé ceci. Ce travail, je le répète, est gratuitement ajouté par moi aux deux volumes que vous avez déjà depuis plus d’un mois entièrement imprimés et terminés. Il ajoutera évidemment à la valeur de ces deux volumes, et ces messieurs comprendront aisément que les cinq ou six feuilles que j’ajoute sont plus qu’un dédommagement pour les quelques semaines d’intérêts de la somme payée. Je dis quelques semaines, car l’ouvrage aurait pu paraître il y a plus d’un mois si vous l’aviez voulu publier sans ce complément.
Soyez certain, monsieur, que vos intérêts et ceux de MM. vos associés me préoccupent plus que les miens propres, et que je ne vous l’ai jamais prouvé plus qu’en ce moment. Soyez assuré également qu’il est plus urgent encore pour moi que pour vous d’avoir promptement fini. Ce retard, dont votre excellent esprit ne se plaindra plus, j’espère, est de ma part un excès de conscience. Je compte d’ailleurs donner ces jours-ci la fin. J’achève en ce moment le dépouillement des documents qui me sont parvenus et que je suis obligé de faire traduire, sachant très mal l’allemand. Veuillez, monsieur, communiquer cette lettre à vos associés et leur faire agréer et agréer pour vous-même l’assurance de mes sentiments les plus distingués » (Œuvres complètes de Victor Hugo, Correspondance, Tome I (année 1814-1848), Paris, Imprimerie Nationale, Albin Michel, Ollendorff, 1947-1952, p. 332-333).

[3Juliette a beaucoup de cheveux blancs et elle passe parfois des heures à les chercher et à les arracher méthodiquement pour dissimuler ces marques de vieillissement (voir par exemple les lettres du 2 février, 5 août et 5 novembre 1841). C’est pourquoi elle reproche parfois à Hugo, en comparaison, son éternelle jeunesse.

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