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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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26 octobre [1841], mardi matin, 10 h. ½

Bonjour mon Toto chéri, bonjour mon amour, je t’aime. Comment vas-tu ce matin, mon Toto ? Moi je ne vais pas, mon mal de tête s’est tourné en unea espèce d’enchiffrement qui me gêne on ne peut pas plus mais tout cela se passera. En attendant, j’ai un mort qui pose en face de mes fenêtres pour m’égayer l’imagination [1]. Baise-moi, mon Toto, et donne-moi à copier bien vite pour me remonter le physiqueb et le moral que j’ai assez relâchés pour le moment. Jour Toto, jour mon petit o, SOURIS-MOI.
Vous ne voulez donc pas décidément emporter les petits sachets et les poupées [2] ? Vous attendrez qu’elles aient de la barbe et que les petits sachets soient fanés ? Ce sera vraiment très adroit et très spirituel, voime, voime, fort spirituel. Toto est une bête. Taisez-vous, vous n’avez pas la parole et vous avez l’âme noire. Taisez-vous, taisez-vous, taisez-vous.
Quel affreux temps, mon Dieu. Encore si j’avais à copier je ne me plaindrais pas, mais toute seule comme un pauvre chien galeux, ça n’est vraiment pas la peine de vivre et on devrait me donner par charité la boulette caniculienne. Enfin, telle que je suis pour le quart d’heure, je suis un être parfaitement malingrec, parfaitement absurde et parfaitement désagréable et indécrottable. Il n’y a que vous au monde qui pourriez me changer à mon avantage si vous vouliez vous donner la peine de venir et de m’aimer, mais vous vous en garderez bien et moi je garderai mon humeur noire.
Je fais brûler du sucre chez moi parce que je sens le mort ou du moins que je me le figure, ce qui est encore pire [3]. Baise-moi, toi, et souris-moi ou je te flanque des calottes à tire-larigotd. Reviens bien vite si tu ne veux pas me trouver encore plus bête et plus méchante que d’habitude.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 57-58
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « un ».
b) « phisique ».
c) « malinge ».
d) « tirelarigo ».


26 octobre [1841], mardi soir, 4 h. ¼

Une journée bien longue, bien noire, bien maussade et bien triste que celle-ci, mon amour, au-dehors et au-dedans, dans le ciel et dans le cœur. Pourtant, il dépend de toi de m’apporter un rayon de soleil, il suffit de ton regard, de la joie, il suffit d’un baiser de ta ravissante petite bouche. Quand donc te verrai-je, mon Toto ? Il y a bien longtemps que je te désire depuis ton dernier baiser. Je donnerais tout au monde pour avancer d’une seconde ton retour vers moi. Reviens bien vite, mon Toto chéri.
Je suis toute souffrante, j’ai une espèce de rhume de cerveau bâtard qui me tient une narine bouchée et tout un côté de la tête engourdi et douloureux. Je suis stupide, encore plus que d’habitude car j’ai une envie de pleurer sans raison et sans motif qui ne peut s’attribuer qu’à mon absurde malaise. Mais je suis sûre que, dès que je t’aurai vu, je serai mieux et que j’aurai l’air très GEAIE. SOURIS-moi. Il fait un temps bien hideux mais puisque vous avez vos BAUTTES vous pouvez bien venir, scélérat. Vous n’avez pas d’Académie aujourd’hui et votre travail peut aussi bien se faire chez moi que chez vous. Alors pourquoi vous faites-vous tant tirer l’oreille pour me rendre la plus joyeuse et le plus heureuse des femmes ? C’est donc par méchanceté, je vous en crois très capable mais je ne vous en aime pas moins, malheureusement. Taisez-vous et venez, ça vaudra mieux. Tout votre esprit ne vaut pas un baiser et tout mon amour vaut mieux que vous depuis les pieds jusqu’à la tête.

BnF, Mss, NAF 16347, f. 59-60
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Peut-il s’agir d’un des voisins de Juliette qui est mort le 4 octobre précédent ? Le délai semble néanmoins plutôt long. Quoi qu’il en soit, il est possible que Juliette décrive ici une pratique qui est en train de se développer au XIXe siècle avec l’avènement de la photographie et des daguerréotypes au cours des années 1830 : faire poser un mort de sa famille ou prendre la pose à côté de lui pour l’immortaliser.

[2Ces présents sont pour les filles de Hugo, Léopoldine et Adèle. C’est surtout sur la seconde que Juliette concentre ses attentions et en août, elle lui a déjà offert une jolie poupée baptisée Gobéa.

[3À élucider.

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