4 octobre [1841], lundi matin, 9 h. ½
Bonjour méchant homme, bonjour affreux menteur, bonjour vilain homme, bonjour. Je vous aime et j’enrage. TAISEZ-VOUS.
Je me suis couchée à une heure du matin et, toute la nuit, j’ai été réveillée par le bruit de la sonnette de la porte et à chaque fois avec l’espoir et le désappointement de vous voir et de ne pas vous voir. Ce bruit, ces allées et venues, c’était tout bonnement un homme qui se mouraita de mort subite pendant laquelle on a été chercherb sept médecinsc dont pas un seul n’était chez lui. Ceci n’est pas encourageant pour les morts subites la nuit. Au reste, Suzanne prétend que le mort est bien mort mais la petite portière affirme qu’il vit encore puisque le drap remue. Moi qui n’ai jamais vu l’individu, je ne m’intéresse que médiocrement à sa mort ou sa résurrectiond. Je laisse la providence tout à fait libre à son égard, à moins qu’il ne laisse une pauvre femme bien triste et bien malheureuse après lui.
D’un mort à un moribond, la transition n’est pas trop brusque et je peux te dire que j’ai vu hier Lanvin plus pâle et plus accablé que jamais. Il venait savoir l’heure à laquelle il fallait reconduire Claire, je lui ai dit ce soir à sept heures et demie [1]. Sa femme est toujours de plus en plus malade et sa fille languit. Enfin, ce serait une bonne action et une acte de charité bien placé si tu pouvais venir au secours de cette pauvre famille en faisant avoir une place par ton cousin Trébuchet à ce pauvre Lanvin [2]. Malheureusement, tu n’as guère le temps de t’en occuper mais tu tâcheras de trouver un moment pour cela, cela nous portera bonheur.
Autre chose encore, le petit Pierceau a été malade et on l’a couché jusqu’à dix heures sur mon canapé. J’ai eu en outre la visite de Mme Triger et de son fils mais un quart d’heure seulement [3]. Et puis voilà tout et je t’aime plus que jamais et je désire te voir de toute mon âme.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16347, f. 7-8
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « mourrait ».
b) « cherché ».
c) « médecin ».
d) « rézurrection ».
e) « une ».
4 octobre [1841], lundi soir, 4 h. ½
Mon cher petit bien-aimé, est-ce que vous ne songez pas à revenir bientôt auprès de moi ? Mon Toto chéri, est-ce que tu ne sens pas que ton absence m’est odieuse et insupportable ? Je t’en prie, mon adoré petit homme, reviens bien vite, tout à l’heure plutôt que ce soir, à présent plutôt que tout à l’heure. Je suis vraiment trop triste et trop désœuvrée quand je te sens loin de moi, non par désœuvrement des pieds et des mains, car Dieu sait que je ne suis pas une minute sans rien faire, mais désœuvrement de l’âme. Je ne sais pas vivre sans toi, tout m’ennuie et tout m’attriste. Claire s’en ira dans quelques heures, je serai donc tout à fait seule comme un pauvre chien. Mon Toto bien-aimé, reviens bien vite, je te baiserai bien, je te caresserai bien, je t’adorerai bien.
Je n’ai pas copié encore parce que la blanchisseuse d’une part, le nettoyagea à fond de l’autre, le paquet de Claire à faire et mon train-train ordinaire, toutb cela ne m’a pas laissé un moment pour copier mais ce soir, dès que ma fille sera partie, je m’y donnerai à cœur joie.
Mon Toto, tâche de venir bien vite pour que je ne sois pas comme une pauvre femme abandonnée et à qui personne ne pense et que personne n’aime. Je t’aime tant, moi, plus que ma vie. Ô oui, bien plus que ma vie.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16347, f. 9-10
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « nétoyage ».
b) « tous ».