20 septembre [1841], lundi après-midi, 2 h. ¼
Je t’aime, mon beau Victor, je t’aime de plus en plus, autant que la beauté de ton corps et de ton âme qui augmentent aussi chaque jour comme un phénomène divin. Je t’aime, mon Victor adoré, crois-le bien car c’est la vérité sainte et sacrée comme si le bon Dieu te le disait lui-même. Je t’aime de tous les amours à la fois, mon sublime petit bien-aimé.
J’ai encore mis mon affreux nez dans votre délicieuse crème. J’ai écorniflé un peu Mayence, malheureusement il n’y en avait pas beaucoup et à ce sujet je m’aperçoisa que je n’ai plus votre pratique pour copier vos manuscrits [1]. Si vous croyez que ça m’arrange, vous vous trompez du tout au tout et je me révolte comme un chien.
4 h.
Je viens d’avoir la visite de Mme Franque qui m’a raconté toutes sortes de choses tristes au sujet de sa sœur et de M. Pasquier le mort. Il paraît qu’il ne lui a rien laissé, ni comme témoignage d’intérêt ni comme souvenir d’affectionb, ce qui l’afflige d’autant plus [2]. Maintenant que je t’ai vu, mon cher bien-aimé, je n’ai pas besoin de continuer mes explications sur cette pauvre femme mais toi, mon pauvre ange, si loyal et si dévoué, comment peut-il t’arriver des ennuis comme celui de tout à l’heure [3] ? Je n’y comprends rien vraiment et c’est à douter du bon Dieu. Mon adoré, mon adoré, aimons-nous et soyons-nous bien fidèles l’un à l’autre car tout est là. Je le sens plus que jamais et j’aimerais mieux mourir sur le coup que de manquer à mes devoirs d’amour.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16346, f. 234-235
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « apperçois ».
b) « affetion ».