3 septembre [1841], vendredi après-midi, 2 h. ¼
Vous voulez que je vous fasse des images [1], vieux Chinois [2], et vous ne m’en fournissez aucun sujet. Encore si vous m’apportiez quelque magot [3], plusieurs statuettes [4] et un nombre indéfini de porcelainesa, peut-être pourraisb-je me mettre en train. Mais RIEN, c’est trop peu de chose. Donnant donnant, c’est ma devise, vous le savez n’est-ce pas ? Eh bien, c’est à vous de voir ce que vous aimez le mieux de mes chefs-d’œuvrec ou de vos chinois, choisissez et ne vous plaignez pas.
Je ne sais pas si on donne Ruy Blas ce soir mais il me semble que l’air est bien plus frais et plus vif qu’hier qu’on aurait dit que nous étions dans un four de campagne avec du feu dessus et dessous. Cela ne m’étonnerait pas que ce scélérat de Ruy Blas soit pour quelque chose dans ce rôtissage exorbitant chaque fois qu’on le donne. Il en est très capable.
Dieu que je voudrais m’en aller avec toi tout de suite ce soir ! QUEL BONHEUR !!! Mais plus nous avançons et plus nous reculons ce moment tant désiré, si bien que cela a un peu l’air d’une affreuse mystification [5]. Un de ces soirs je prendrai mes jambes à mon cou et tu seras bien forcé de courir après moi si tu veux me rattraperd sans m’attraperd, au contraire. En attendant je bisque, je rage et je mange du fromage plus que tout mon soûle. Baise-moi, toi, vieux Toto, et aime-moi bien vite. Tâche de venir tout de suite et de m’apporter QUELQUE CHOSE.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16346, f. 195-196
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « porcelaine ».
b) « pourrai ».
c) « chefs-d’œuvres ».
d) « rattrapper » et « attrapper ».
e) « sou ».